LEBERECHT LORTET










Portrait de Leberecht Lortet en 1887 (il a alors 59 ans)
par Max Leenhardt (1853-1941), un ami peintre (52 cm x 42 cm)

(signature authentifiée par Isabelle Laborie, auteur d'une thèse sur
"L'importance des réseaux dans la carrière d'un artiste entre
1870 et 1940 : Max Leenhardt, ses relations et ses amis") 


Né le 30 avril 1828 à Heidelberg, quartier Neuenheim (Allemagne).
Fils aîné du Dr Pierre Lortet et de Jeannette Müller, dite Nettchen,
qui ont eu deux autres enfants : Clémentine, en 1830,
et Louis, en 1836. L'année suivante, Jeannette meurt.
Le Dr Lortet élève alors seul ses trois enfants de 9 ans, 7 ans et 1 an.
Leberecht ne s'est pas marié et n'a pas eu d'enfant.
Il meurt à Oullins, le 6 novembre 1901.

Leberecht manifeste très tôt des talents artistiques hérités de son père, ainsi qu'un tempérament romantique et solitaire, que décrivent très bien les dessins pleins d'humour et d'ironie de son ami d'enfance Alfred Bruch.


Petit dessin de jeunesse de Leberecht (5 cm x 8 cm) ;
extrême minutie, solidité de la construction (héritée de son père)
jeu des ombres et de la lumière (même héritage),
finesse des coloris : tout son art est déjà là...

" Le blond Leberecht, dégoûté du monde, s'est fait pâtre".


Le blond Leberecht à Sète : “ Qu'est-ce que c'est que la vie humaine ?
une mer où règne tantôt un calme plat, tantôt la tempête
et au fond de laquelle s'agitent des monstres épouvantables !”

“Habitation du blond et mélancolique Leberecht en 1852”


Ses dessins à la mine de plomb et ses aquarelles révèlent tout autant sa virtuosité que la précision de son oeil.



Formation

On peut faire remonter la filiation à François Diday (1802-1877), peintre paysagiste qui ouvre une école à Genève en 1829. S'y inscrit notamment Alexandre Calame (1810-1864), qui dépasse rapidement son maître et qui ouvre à son tour une classe, à Genève également, en 1835. Calame devient alors le maître du paysage alpin, et c'est chez ce maître que Leberecht va se former aux côtés de quelques autres, tels Eugène Castelnau, Gabriel Loppé ou Gustave Castan, qui seront ses confrères et amis. C'est ainsi qu'on peut lire dans un carnet de Loppé, à la date du 10 août 1883, tandis qu'il est à Zermatt : "Je peins aux environs avec Lortet et Castan”.
On peut penser qu'il se retrouve également avec Gabriel Loppé sur la Côte d'Azur, si l'on en juge par ces deux tableaux si proches, peints par l'un et l'autre (celui de Loppé, conservé a Musée Alpin de Chamonix, est daté de mars 1880).



À noter que Leberecht Lortet se lie également à François-Auguste Ravier, le maître de Morestel, et le considère comme son mentor, bien que la peinture de ce dernier penche vers l'impressionnisme.

Les œuvres de Leberecht Lortet sont recherchées et alimentent toujours le marché de l'art. On en voit régulièrement passer sur Internet ; une petite toile de 35 cm par 50 cm se vend 2500 € mais un grand format peut atteindre des sommes dix fois supérieures, comme ce "Cervin", ou le paysage alpin placé dessous, de 87 cm par 1,30 m, vendu 22 000 € lors d'une vente aux enchères à la galerie du Rhône de Martigny, en décembre 2008, et pour lequel l'historien d'art de Lausanne Christophe Flubacher nous a demandé l'autorisation de reproduire des extraits de la présente biographie dans le catalogue de vente ; le tableau suivant "Torrent dans les Alpes", 56 cm x 90 cm, a également été mis aux enchères à la galerie du Rhône, en juin 2010, avec une évaluation de départ de 5 400 à 6 800 euros.





"Leberecht fut un remarquable paysagiste, "le peintre des Alpes, des sommets neigeux, des prairies vertes entourées de sapins noirs, des lacs dans l'ombre". L'influence de ses ancêtres naturalistes et de son éducation scientifique se fait sentir dans le réalisme de ses œuvres. Mais en représentant la nature dans son exacte et minutieuse vérité, il sut, en disciple de Rousseau, en pénétrer le sentiment intime". (Antoine Magnin, les Lortet botanistes lyonnais).

En revanche, pour ses détracteurs, portés vers de nouvelles formes d'expression à l'aube de l'impressionnisme : "Si jamais la photographie couleur se trouve, on ne saura vraiment plus que faire des peintures de monsieur Lortet" ! 


Nombre de ses paysages sont balayés par la tempête ; à rapprocher de cette note relevée dans une lettre du 4 mai 1886 à son ami peintre Ravier : "Je travaille vigoureusement à mes orages dans les Alpes..".


Leberecht Lortet était un artiste très prolifique et peu soucieux de gloire, plantant le plus souvent son chevalet dans les Alpes, surtout en Suisse, partout où les paysages l'inspiraient. Il était notamment très souvent autour de Grindelwald, en Oberland, ou de Zermatt.
Ainsi était-il en train de peindre au pied du Cervin le jour de la fameuse ascension victorieuse de Whymper et de l'accident tragique qui s'ensuivit, le 14 juillet 1865.
L'année suivante, son frère Louis étant venu faire de l'alpinisme à ce même endroit, Leberecht pose ses pinceaux et part avec lui faire l'ascension du Breithorn (4164 m) !
Il n'était pas rare qu'il travaille de concert avec des confrères. C'est ainsi par exemple que son frère note dans son journal, à la date du 5 août 1868 : "Après déjeuner, à 10 heures environ, en nous promenant à l'entrée de Zermatt, j'entendis tout à coup le sifflet bien connu de mon frère Leberecht. C'était bien lui et son confrère Sordet !" [Eugène Sordet (1836-1915), peintre paysagiste suisse].




En Suisse, à Fionnay, dans le val de Bagnes (Valais)



L'un des nombreux “Cervin” peints par Leberecht Lortet
(celui-ci est conservé au musée Alpin de Chamonix)



Diaporama de quelques œuvres de Leberecht Lortet 

En cliquant ici, on trouvera un diaporama d'une centaine d'œuvres, réalisé avec :
• des photos de tableaux et dessins conservés dans la famille
• des photos envoyées par des correspondants qui nous ont contacté   
• des photos trouvées sur Internet, où les tableaux de Leberecht s'achètent et se vendent toujours

En dehors de celles héritées par les membres de la famille, les œuvres de Leberecht Lortet sont dispersées dans divers musées suisses et français, ainsi que chez des collectionneurs européens - notamment anglais et suisses chez qui ses paysages de montagnes eurent un grand succès - et américains.

+ + +

Leberecht Lortet participa à certaines missions scientifiques de son frère Louis. C'est ainsi qu'on le retrouve en Grèce en 1873. Enfin, étant bilingue, il fit des traductions de textes philosophiques allemands, ainsi que celle d'un "ouvrage de haute moralité, populaire en Allemagne, qu'on devrait mettre entre les mains de tous les enfants" (Aimé Vingtrinier) : "Fédor et Louise, ou devoirs de l'homme envers les animaux" - à la demande de son père, fondateur de la société protectrice des animaux de Lyon (voir page du Dr Pierre Lortet)

+  +  +

Leberecht habitait à Oullins, avec sa sœur Clémentine, la maison à l'écart et en contrebas de la grande maison familiale (voir article Dr Pierre L.). C'était "la petite Cadière", qui existe toujours. Elle avait été achetée le 18 mai 1847, avec "vigne, luzernière et hortolage" au bénéfice des 3 enfants, alors mineurs.


Leberecht et Clémentine (avec Inès, la fille aînée de Louis ?) 
devant la petite Cadière
Ci-dessous, la façade dans son état actuel.



Le domaine, d'une taille considérable (entouré d'un tireté rouge sur la photo ci-dessous, où il faut imaginer qu'il n'existait aucune maison, hors la petite Cadière, cernée en rouge), descendait jusqu'à la rivière Yzeron, qui n'était pas le triste canal actuel, mais un ruisseau courant sous les ombrages d'une dense ripisylve. 



Leberecht vivait là en gentleman farmer, à l'écart de la grande maison familiale, entretenant vigne et prairies, avec quelques vaches et des ruches. Il avait là sans doute un atelier, mais son véritable lieu de travail se trouvait à Lyon, au bord de la Saône, 24 quai Fulchiron, dans cette maison qu'il occupa jusqu'à la mort de son père, en 1868 :


Leberecht assurait par ailleurs la présidence de la Société de secours mutuel d'Oullins et fut élu plusieurs fois conseiller municipal entre 1865 et 1880, en même temps que son ami Gustave Arlès-Dufour, qui fut maire de 1870 à 1872. Il fut même premier adjoint entre 1874 et 1876. Et on note qu'il exerça ses deux derniers mandats avec un autre ami de la famille - Maurice Chabrières-Arlès (beau-frère de Gustave Arlès-Dufour).

Peu avant la fin de sa vie, en 1898, il fonda avec quelques autres, notamment Émile Noirot (1820-1924), lui aussi admis,auteur d'Auguste Ravier, la Société des Peintres de Montagne.

+ + +

Leberecht s'éteignit subitement le 6 novembre 1901. 
Son frère Louis relate sobrement cette mort dans son journal :

" Mon cher frère vient de mourir à onze heures du soir.
Il avait passé une très bonne journée. Le soir, à 8 heures, je suis allé lui mettre des ventouses sèches. 
Il m'a parlé très gaiement de son tableau du lac du Bourget et d'un grand arbre qu'il voulait y mettre. Il paraissait parfaitement bien.
Je venais à peine de m'endormir. On est venu me chercher. Il venait de mourir foudroyé par une syncope. Il sentait un engourdissement aux bras, il s'est levé, puis s'est assis et est tombé raide mort en disant : " Oh mon Dieu, que ce soit au moins vite fini !".
Voilà donc la fin. Je reste seul avec mon désespoir ! Ô mon Dieu, aie pitié de moi, je t'en supplie ! "


Après la mort de Leberecht, son frère Louis Lortet fit don au musée des Beaux-Arts de Lyon d'une de ses œuvres majeures, intitulée "la Grande Meije" (décrit ici par un expert). Ce tableau a été exposé en 2007 au musée des Beaux-Arts de Lyon dans le cadre de la rétrospective "Le temps de la peinture, Lyon 1800-1914".



"Le Tout Lyon, hebdomadaire des artistes et des gens du monde" publia un long éloge funèbre de Leberecht dans le style de l'époque (numéro du 24 novembre 1901).

Le voici in extenso, avec la photo qui l'accompagnait :

"Ce fut par une après-midi d'automne, dans le décor mélancolique des grands arbres chauves et des pelouses séchées, que les parents et les amis du peintre Leberecht Lortet se réunirent auprès de son cercueil exposé au milieu du jardin ; aux austérités du rite protestant l'élégie des feuilles mortes et des branches sèches mêlait une angoisse étrange et lorsque les porteurs entraînèrent le corps, un rai de soleil glissé par le ciel lugubre fit resplendir à l'horizon les neiges nouvelles des Alpes trop lointaines : ainsi la Nature voulut prendre part au dernier cortège d'un de ses plus fidèles amants.

Leberecht Lortet subit au lycée l'influence forte et salutaire de ce grand éducateur que fut l'abbé Noirot. De bonne heure la nature l'attira, le saisit, tourna vers la peinture ses forces d'enthousiasme et de travail. Il eut la fortune de trouver en son père, le Dr Pierre Lortet, un artiste doublé d'un savant qui se fit un agréable devoir de consacrer les heures de repos que lui laissaient ses études à conduire ses fils dans les vastes campagnes, par monts et par vaux, à leur faire apprendre et méditer les grandes leçons de la terre.

Tandis que son frère - l'éminent doyen de notre faculté de médecine qui voudra nous permettre de lui offrir ici nos plus sincères condoléances - se préparait à hériter, pour l'enrichir encore, du patrimoine scientifique de son père, Leberecht, sans approfondir ni définir les mystères, se laissait aller à la grande admiration des horizons et des sommets, tentait de reproduire sur la toile les beautés qui l'enivraient, s'efforçait, en un mot, d'être le peintre de cette "poésie sourde mais puissante et qui, par cela même qu'elle dirige la pensée vers les grands mystères de la création, captive l'âme et l'élève" (Rodolphe Töpffer).

Il s'en fut étudier les techniques de la composition et de la couleur auprès du peintre Calame, qui fut à Genève, le digne successeur de Töpffer, le père du poète érudit des Voyages en zig-zag, de la Rive et surtout de Meuron qui, vers 1823, osa le premier tenter de traduire "la saisissante âpreté d'une sommité alpine au moment, où baignée de rosée et se dégageant à peine des crues fraîcheurs de la nuit, elle reçoit les premiers rayons de l'aurore" (Rodolphe Töpffer).

Avec ce maître, puis avec François Diday qui apportait un enseignement plus coloré, Leberecht Lortet voyagea par les beautés diverses de la Suisse, de l'Italie, du Midi de la France, et quand la mort frappa son père, il se retira dans la propriété familiale de la Cadière, à Oullins, et entouré des soins maternels d'une sœur dévouée, tenta l'évocation, au milieu de cette campagne paisible, des images puissantes qu'il avait conservées dans les yeux. Très simplement, en artiste dédaigneux des réclames et des futilités extérieures, il y passa sa vie, trouvant une joie chaque jour renouvelée à voir de sa fenêtre et de son jardin les jeux éternellement nouveaux de la lumière, à noter sur la toile cette nature qu'il adorait passionnément, qu'il allait revoir chaque année et qu'il rapportait pour ainsi dire avec lui, moins dans un lot d'études précises et documentées que dans son cœur.

L'amitié précieuse de Michelet et de Quinet venait mêler parfois à la poésie grave de Lortet, les leçons fortes des études historiques, de leurs conclusions, et comparer les plus grands efforts des hommes à l'impassibilité auguste de la nature. "La Montagne" de Michelet, reflète une partie de ce culte échangé. Le poète que fut cet historien avait estimé le poète que fut ce peintre lorsqu'il le titrait "Le grand peintre lyonnais".

Au demeurant Leberecht Lortet avait trouvé à Lyon de fervents admirateurs. Il fut longtemps, avec Ponthus-Cinier, le favori des collectionneurs, le peintre dont il était indispensable de posséder une œuvre dans ses galeries, dans sa collection d'art. Il exposait régulièrement à Paris, en Allemagne, en Suisse, en restant fidèle, scrupuleusement, à sa ville. Mais jamais il ne tenta d'abuser de la gloire et de la vogue qui l'entouraient. Il est même permis de dire qu'il n'en usa pas assez et que sa trop grande modestie laissa trop de prétentions intrigantes se glisser à un rang qu'il aurait dû occuper seul. C'est un des traits spéciaux de son noble caractère d'artiste. Il fut si discret, si probe, si en dehors de toute cabale et de toute réclame, que son nom commandait assez de respect pour qu'on n'osât s'y abriter ; après un travail de plus de cinquante années, après avoir conquis une superbe renommée, il est mort sans avoir reçu le moindre ruban, la plus banale décoration. C'est un exemple qui devient rare aujourd'hui.

Aussi sa mort fut une vraie perte pour la peinture lyonnaise, qui vit disparaître avec lui plus qu'un maître : un ami. Les artistes s'inclinèrent avec respect devant la tombe de l'un d'eux qui ne leur avait fait que du bien, qui avait vécu loin des soupçons, loin des critiques. Il est impossible, en effet, de considérer avec insolence l'œuvre de Lortet qui, mieux que nul autre, justifie cette définition merveilleuse de Töpffer [dont la famille Lortet possédait tous les fameux albums - ndr], l'écrivain d'art au goût le mieux inspiré et le plus studieux : "Le paysagiste est au fond un chercheur de choses à exprimer bien plus qu'il n'est un chercheur de choses à copier". En dépit d'une certaine sécheresse que fait excuser l'atmosphère transparente de l'altitude, Leberecht Lortet sut comprendre et chanter le grand poème du paysage. Il fut un peintre sincère et sensible, consciencieux et précis, un peu trop précis si l'on veut, comme cet amant prolixe qui s'attarde à conter les perfections de son idole et se fait scrupule de mentionner le moindre reflet de sa chevelure.

Les Lyonnais n'ont qu'à regarder autour d'eux pour trouver l'œuvre de leur compatriote à la place d'honneur dans les galeries de leur ville ; mais il est à souhaiter, afin qu'ils puissent rendre à l'artiste disparu l'hommage qu'ils lui doivent, que les études et les toiles, fermées par la mort dans l'atelier de Lortet, soient produites dans une exposition spéciale. C'est la plus belle couronne à mettre sur la tombe de cet artiste." **

** C'est au contraire une vente d'atelier qui fut réalisée en mai 1903, ce qui dispersa ses œuvres, que l'on continue de trouver en achats et ventes soutenues sur le marché de l'art, via Internet.

+  +  +

Leberecht reçut également, de la part de la grande alpiniste et écrivain Mary Paillon, cet émouvant éloge personnel publié dans la Revue Alpine - section lyonnaise (dont le rédacteur en chef était son frère, Maurice Paillon) du 1er décembre 1901 (avec un insert manuscrit à l'adresse de Louis, dont elle était proche en tant qu'alpiniste, et aussi parce que les Paillon avaient une propriété familiale à Oullins) :

Le 6 novembre 1901, Leberecht Lortet mourait, à 73 ans, dans sa villa de La Cadière, à Oullins, près de Lyon. Il avait consacré sa vie à la peinture de montagne, sa mort ne saurait donc rester sans écho dans le monde alpestre. La revue Alpine, à laquelle il collabora avec tant d'éclat, n'a pas oublié qu'elle lui devait deux des meilleures illustrations qu'elle ait publiées : celle du Wetterhorn, dans le numéro de mai 1896, d'après un tableau exposé au Salon de Lyon, et une vue de la chaîne du Mont-Blanc, prise du col des Montets, d'après une étude du défunt.

Les œuvres de l'artiste sont connues de tous en France comme à l'étranger où elles sont très appréciées. Ce fut à Zermatt que, l'un des premiers, il commença à peindre sur les lieux mêmes. On sait que ce centre était, à l'époque, presque exclusivement fréquenté par les Anglais et ce fait explique, pour Lortet comme pour Gustave Doré, la faveur extraordinaire avec laquelle ses œuvres furent accueillies en Angleterre.

Élève de Calame, il représentait cet art délicat et gracieux qui fut accessible aux foules parce qu'il correspondait à l'idéal que les foules se faisaient de la montagne ; aussi s'arrachèrent-elles les moindres toiles du maître. D'autres sont venues après lui, plus jeunes, plus ambitieux, plus agressifs dans leur corps à corps avec la haute montagne ; mais pour que ces derniers vinssent, les premiers avaient été nécessaires ; dans une chaîne solide, chaque anneau a sa place, l'un soutient l'autre.
Il n'a été donné qu'à un petit nombre de ses amis de feuilleter ses cartables ; ils savent, ces privilégiés, ce que sont ces savoureuses études où la sincérité de l'impression est respectée par le faire savant du maître, sans que la tentation de céder au goût du public s'interpose entre l'artiste et l'œuvre. Ce qu'était l'artiste, tout le monde le sait, la postérité en jugera définitivement ; ce qu'était l'homme, on est heureux de le rappeler ; du reste, sa conception d'une vie honnête et calme, la sérénité de sa belle âme sont écrites par son pinceau dans les moindres productions de son talent. Ceux qui ont suivi son cercueil — qui lentement s'en allait entre les arbres teintés d'or de la demeure familiale — ont loué ce bon entre les meilleurs, mais une note tintait plus claire et plus haute dans l'harmonie des voix ; c'était un modeste, disait chaque parole. Par ce temps de cabotinage, d'exagération maladive de vanité d'artiste, l'éloge n'était soudainement pas banal.

Caché sous de symboliques fleurs, un tapis de violettes, ce modeste dort à présent dans le cimetière d'Oullins, auprès d'une sœur qui fut maternelle et à laquelle il a si peu survécu. Il me souvient l'avoir rencontré là, près du bloc de marbre brut qu'ombrage un tamaris, portant à la chère morte une branche de cerisier en fleurs... Quand les cerisiers refleuriront une main pieuse en portera maintenant deux branches.
Mary Paillon

+  +  +

Un grand article parut par ailleurs en première page, le 14 novembre 1901, dans le Lyon Républicain, soit moins d'une semaine après le décès de Leberecht. Cette chronique signée L. Leclair, commence ainsi :
Parmi les trop nombreux morts que nous enlève le tourbillon des feuilles d'automne, qu'il me soit permis de payer un tribut d'hommages et de regret à un bon peintre lyonnais qui a marqué très honorablement sa place dans notre pléiade artistique.
Je veux parler de monsieur Leberecht Lortet, le peintre des sommets alpestres, des cimes neigeuses, des pentes hérissées de sapins, des torrents s'échappant au travers des gorges rocheuses ou des lacs aux eaux dormantes qui servaient de cadre à ses majestueuses beautés de la nature...

+  +  +



Leberecht, sur la fin de sa vie


On trouvera sur Wikipedia une page consacrée à Leberecht Lortet.


LES AMANTS D'IRIGNY



Avant d'en venir à la descendance de Clémence, faisons un tour dans la famille de son mari Pierre Lortet...

Ce dernier avait une soeur prénommée Thérèse qui vivait avec ses parents Pierre Lortet, dit Meunier, et Claudine, née Girardin, dans l'hôtel que ces derniers tenaient à Lyon, ancienne rue de la Sirène (quartier de l'actuelle rue Edouard Herriot).
Un jour de l'année 1770 descend à l'hôtel un italien du nom de Gian Faldoni, venu à Lyon pour s'installer en tant que maître d'armes. Thérèse, qui n'a alors que 19 ans, en tombe follement amoureuse.
Il faut dire que ce gaillard de 32 ans et six pieds de haut a de la prestance. De plus il est auréolé d'une énorme réputation d'escrimeur invincible, pour avoir vaincu devant Louis XV et sa Cour, la plus fine lame du royaume, le chevalier de Saint-Georges.



Malgré cette renommée, le père de Thérèse s'oppose rigoureusement à cette idylle. Et pour compliquer les choses, Faldoni, tirant au fleuret, reçoit une blessure à la gorge qui provoque un anévrisme qui le condamne à court terme, d'après ses médecins.
Ne pouvant se résoudre à ce que la mort les sépare, ils envisagent de se suicider, après une épreuve que Gian fait subir à Thérèse pour s'assurer de son amour par-delà la mort :
"Dans un moment d'abandon et de détresse, il lui fait répéter plusieurs fois que sans lui la vie lui serait odieuse. Alors, tirant de sa poche un flacon, il s'écrie "c'est du poison !". Thérèse, éperdue lui arrache le reste du breuvage et le boit avec avidité. Alors il lui avoue qu'il n'a voulu qu'éprouver son amour et son courage" (Journal encyclopédique).

Ils s'arrangent pour se rendre ensemble à Irigny, où la famille possède (ou loue) une maison de campagne au lieu-dit les Célettes. Ils s'enferment dans la chapelle de la propriété et mettent fin à leurs jours avec un dispositif reliant deux pistolets à l'aide d'un ruban sur lequel ils tirent ensemble.

Les Amants d'Irigny
(dessin de Jubany, bibliothèque de la Part-Dieu)

On retrouva "Thérèse les yeux bandés dans un mouchoir, ledit Faldoni la tête couverte du coin de sa redingote". Dans la poche de Thérèse une lettre adressée à sa mère :
"Vous avez refusé de m'unir à Faldoni. Je l'aime, je ne puis vivre sans lui. Il va mourir et je vais le suivre. Adieu. Quand vous lirez ceci, vous n'aurez plus de fille."

Le drame fit grand bruit dans le royaume et marqua aussi l'esprit de deux personnages de l'époque : Rousseau et Voltaire.
Jean-Jacques Rousseau était descendu par deux fois au moins dans l'auberge tenue par la famille Lortet (premier séjour attesté m-avril 1730 en compagnie de Louis-Nicolas Lemaître, son maître de musique). Il connaissait Thérèse. Il est avéré qu'il séjourna à Lyon du 10 avril au 8 juin, donc au moment du drame. Trouvant sans doute là un écho troublant aux héros de son roman "Julie ou la Nouvelle Héloïse", il rédigea cette épitaphe :

"Ci-gisent deux amants, l'un pour l'autre ils vécurent
L'un pour l'autre ils sont morts et les lois en murmurent
La simple piété n'y trouve qu'un forfait
Le sentiment admire et la raison se tait".

Au même moment, Voltaire était à Ferney. Il ajoutera plus tard un article à son "Précis de quelques suicides singuliers" :

"Voici le plus fort de tous les suicides. Il vient de s'exécuter à Lyon, au mois de juin 1770.
Un jeune homme très connu, beau, bien fait, aimable, plein de talents, est amoureux d'une jeune fille que les parents ne veulent point lui donner.
Jusqu'ici ce n'est que la première scène d'une comédie, mais l'étonnante tragédie va suivre.
L'amant se rompt une veine par un effort. Les chirurgiens lui disent qu'il n'y a point de remède : sa maîtresse lui donne un rendez-vous avec deux pistolets et deux poignards afin que si les pistolets manquent leur coup, les deux poignards servent à leur percer le cœur en même temps.
Ils s'embrassent pour la dernière fois ; les détentes des pistolets étaient attachées à des rubans de couleur rose ; l'amant tient le ruban du pistolet de sa maîtresse ; elle tient le ruban du pistolet de son amant. Tous deux tirent à un signal donné, tous deux tombent au même instant.
La ville entière de Lyon en est témoin. Arrie et Petrus*, vous en aviez donné l'exemple ; mais vous étiez condamnés par un tyran et l'amour seul a immolé ces deux victimes.

On leur a fait cette épitaphe :

A votre sang mêlons nos pleurs
Attendrissons-nous d'âge en âge
Sur vos amours et vos malheurs
mais admirons votre courage".

* personnages d'une tragédie de 1702 de Marie-Anne Barbier

En 1792, l'académicien Louis de Fontanès y alla également de son poème :

"Thérèse et Faldoni ! Vivez dans la mémoire
Les vers doivent aussi consacrer votre histoire.
Héloïse, Abélard, ces illustres époux,
Furent-ils plus touchants, aimaient-ils mieux que vous ?
Comme eux, l'amour en deuil à jamais vous regrette
Qu'il console votre ombre et vous donne un poète !".

L'histoire inspira par la suite des œuvres plus importantes : un drame en 5 actes de Pascal de Lagouthe ; un mélodrame en 3 actes de Jean-Baptiste Augustin Hapdé : "Thérèse et Faldoni ou le délire de l'amour" ; un roman épistolaire de Nicolas-Germain Léonard publié en 1783 : "Lettres de deux amants habitants de Lyon contenant l'histoire tragique de Thérèse et Faldoni", dont on dit qu'il fut, avec la Nouvelle Heloïse de Rousseau, Werther et les Liaisons dangereuses, "l'une des œuvres les plus significatives du préromantisme" ...



Sources :

Dr PIERRE LORTET






Le Dr Pierre Lortet en 1848 (53 ans)

dessiné et gravé par Etienne Rey
(Etienne Rey a également gravé le portrait de Clémence Lortet)

+++

Sources documentaires principales : 
• "Les Lortet, botanistes lyonnais" par Antoine Magnin, 1913
• "Pierre Lortet" par Christiane Legros, 1992, 
association "Pour l'histoire d'Oullins"
• Archives familiales

+++

Né le 3 juin 1792 à Lyon et mort à Oullins le 22 mars 1868.


Le contexte historique lorsque Pierre a...
- 1 an : Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
- 10 ans : sacre de Napoléon
- 22 ans / 32 ans : règne de Louis XVIII
- 32 ans / mariage / 38 ans : règne de Charles X
- 38 ans / 58 ans : Révolution de Juillet 1830, règne de Louis-Philippe
- 56 ans / député du Rhône : Révolution de 1848 ; Seconde République
- 60 ans : Second Empire
- 76 ans : décès 2 ans avant le guerre de 70


Les études de médecine
Rappelons que Pierre est le fils unique de Clémence et Pierre Lortet (voir plus loin la biographie de Clémence), qu'il naît pendant la Terreur, que sa mère fut son professeur et répétiteur, qu'elle l'initia de bonne heure aux sciences naturelles, et qu'elle l'emmenait dès l'âge de 10 ans dans ses excursions botaniques. Il partit étudier la médecine à Paris en 1811 et fut reçu docteur le 22 septembre 1819 avec une thèse "sur les métastases en général". 




Le diplôme, qui porte notamment la signature de Georges Cuvier
président de la Commission d'Instruction publique


Les voyages à pied
Il profite de ses vacances durant ses études pour faire de grands et nombreux voyages à travers la France, puis en Suisse, prenant des notes que nous avons rassemblées sous le titre de :






Les nouvelles études à Heidelberg
Vers 1825 il part à Heidelberg pour étudier durant 3 ans la littérature et la philosophie allemande en compagnie d'Edgar Quinet qu'il avait rencontré à Lyon, en même temps que Quinet rencontra Jules Michelet. Pierre Lortet gardera ces deux amis pour la vie.


Il possédait parfaitement la langue allemande et traduisit de nombreux auteurs, comme Ch. Ritter. À l'inverse, il publia des textes en allemand, comme “das Ausland”, le Journal de minéralogie de Heidelberg (conférence du Pr Frédéric Charvet, conservateur du musée de l'Histoire de la Médecine de Lyon, sur “la famille du doyen Louis Lortet”, août 2000).


Le mariage
C'est au cours de ce séjour à Heidelberg qu'il épousa, à Darmstadt, le 18 mai 1827, Johanette Müller, dite Nettchen, née le 31 mai 1802 à Alsfeld (grand Duché de Hesse), dont le père était le bailli. 
Herr Müller était également président d'un comité philhellénique, tout comme Pierre était secrétaire du comité philhellénique de Lyon (de 1821 à 1826, en lien avec les comités de Suisse, d'Allemagne et de Grèce) et très engagé dans le soutien au peuple grec (surtout après les massacres de Chios d'avril 1822). Nul doute qu'ils se sont rencontrés à ces titres. Et c'est ainsi que Pierre en vint à tomber amoureux de la fille d'Herr Müller.

Nettchen avait 25 ans et Pierre 34Il s'était converti au protestantisme le 28 novembre 1826, et l'on pourrait penser, sans en être du tout certain, que ces deux événements sont liés. Dès lors, la religion protestante sera celle de sa famille et de toute sa descendance, qui fera partie intégrante de la société protestante de Lyon (mais aussi de Montpellier, Morges, Strasbourg...), déterminant des relations sociales, des amitiés, des mariages, des cousinages, des réseaux d'influence, des modes de vie et de pensée (lire à ce propos “L'évolution de la société protestante de Lyon”). 

On a pu faire une seconde hypothèse pour cette conversion, celle de la rencontre à une date que l'on ignore, du pasteur de Strasbourg, Jean-Frédéric Bruch. Cette hypothèse est évoquée dans les commentaires de la 
lettre qui s'est curieusement retrouvée dans une vente aux enchères à Bordeaux.
Nous l'avons accompagnée d'amusants dessins satiriques que les enfants Bruch adressaient aux enfants Lortet, montrant à quel point les deux familles étaient proches et complices.





Dessins de Pierre Lortet : Nettchen, autoportrait, les fiancés,
extraits d'un carnet très touchant relatant par des croquis au crayon, 
des dessins à la plume et des lavis à l'encre de Chine
son histoire d'amour ainsi que ses voyages à pied
 à travers l'Allemagne, la Suisse et les Alpes du Duché de Savoie.





Un autre album de grand format – 36 cm x 24 cm – 
rassemble une quarantaine de très beaux dessins de voyages,
réalisés pendant son séjour en Allemagne, mais pas seulement.



Sa rencontre amoureuse fit l'objet d'une légende qui perdura à Lyon jusqu'à la fin du siècle : afin d'approcher la jeune femme, il se serait fait embaucher comme jardinier par son père.
Ses compétences firent immédiatement merveille, jusqu'au jour où il dévoila ses intentions et son stratagème en demandant la main de la belle. Ce faisant il dévoila aussi ses diplômes et sa fortune, promit de rendre cette femme heureuse et de la ramener tous les ans à sa famille. Comment résister !


La légende n'est pas sans fondements,
puisque la déclaration eut bien lieu dans le jardin des Müller !
(carnet de voyages de Pierre)

La vérité était moins romantique, bien sûr : Pierre Lortet rencontra, en tant qu'érudit membre d'une société philhellénique lyonnaise (soutenant la guerre d'indépendance grecque), le père de Johanette, lui-même président du Comité philhellénique du Palatinat. Il fit sa demande en mariage dans les formes et simplement.

Il est à noter, chose méconnue, que ce sont Pierre Lortet et Edgar Quinet qui eurent ensemble l'idée, et obtinrent des autorités, d'adjoindre à l'Expédition de Morée, une équipe de scientifiques, sur le modèle de celle qui accompagna l'Expéditionde Bonaparte en Égypte. Quinet fit partie de cette équipe, ainsi que l'helléniste et sculpteur Jean-Baptiste Vietty (auteur du portrait de Clémence Lortet), que lui recommanda Pierre Lortet.

Gravure post mortem de Nettchen
(la ressemblance avec le dessin au crayon de Pierre est à noter !)

Il demeure que le retour en France du jeune couple, de quelques amis et de Clémence tient aussi du merveilleux. Voilà comment le décrit un admirateur quelque peu lyrique, 70 ans plus tard :
"Amour de la science et des Arts ! Passion de la nature ! Voyez-vous cette caravane joyeuse traversant la moitié de l'Europe à pied, escaladant le Grindewald, affrontant la Jungfrau, descendant la Gemmi et, couronnée de fleurs comme une théorie grecque, chantant "Hymen ! Hyménée !" en cueillant l'edelweiss dans les glaciers, le rhododendron au pied des neiges éternelles, ou les suaves fleurs de l'oranger dans les chauds ravins du Valais ? Heureux voyage ! comme les poètes en ont rêvé, comme les artistes n'en ont jamais fait ! Heureuse famille ! qui trouvait le bonheur en elle-même, dans l'amitié, la tendresse, la vie active, le grand air, la vue des lacs et des forêts, les pics hardis, les hautes prairies et tout ce que la nature a créé de beau, de bon et de grand ! (...) C'est sans doute à ce voyage, qui fit un certain bruit, qu'on doit cette autre légende, qui au fond n'est qu'une simple exagération "Quand M. et Mme Lortet vont en Allemagne ou qu'ils en reviennent, ai-je entendu conter mille fois, ils vont droit devant eux, à pied, à travers les plaines et les montagnes, les fleuves, les torrents, les ravins et les bois, surmontant, escaladant les obstacles, évitant les routes, fuyant les villes et ne s'arrêtant nulle part !". (Aimé Vingtrinier).

C'est ce même Vingtrinier qui nous en donne une description vivante :
"Ce fut au cours de zoologie de M. Jourdan [qui deviendra directeur du muséum de 1832 à 1869, avant Louis Lortet], peu après 1830, que j'eus l'honneur de voir M. Lortet. Tout frappe dans la jeunesse et tout reste gravé dans l'esprit, jusqu'aux moindres événements. 
La salle était pleine, la leçon était commencée et nous étions attentifs, quand l'illustre écrivain entra. 
Deux choses m'étonnèrent avec une égale intensité : le costume campagnard du nouvel arrivant ; chapeau commun aux vastes bords, cheveux flottants sur les épaules, veste et pantalon de gros drap, souliers de montagne, bâton ferré à la main ; en même temps les hommages que lui rendit le professeur, les honneurs et les applaudissements de la foule. Ce fut pour moi un indélébile souvenir."

+++

Les dessins de voyages
Les talents artistiques du jeune Pierre sont indéniables. Durant ses allées et venues en Allemagne, il produit un grand nombre de lavis monochromes rehaussés à la plume (voir l'album “Dessins de voyages”), exécutés face aux paysages, avec une prédilection pour les arbres et l'architecture. Il restitue les jeux d'ombre et de lumière avec force. Il a le souci du détail et une bonne vision de la perspective. Il est clair qu'il aura fortement influencé son fils Leberecht, qui le dépassera plus tard sur tous ces plans.

Les arbres, l'architecture, les jeux d'ombre et de lumière...


+++

Articles, notes et citations

Nous plaçons ici, parce qu'il est difficile de les situer chronologiquement dans sa vie, toutes sortes 
d'Articles, notes et citations que le Dr Lortet à écrites au fil des ans sur des coupures de papier plus ou moins classées. On trouve par ailleurs au milieu de ces notes des articles élaborés (tes ceux sur l'instruction publique, pages 50 et suivantes), voire des dossiers sur divers sujets. Le ton général est celui d'un opposant aux régimes monarchiques – de la Restauration à la Monarchie de Juillet –, d'un contempteur de l'esprit de Cour, d'un moraliste acerbe et d'un observateur impitoyable de la société de son époque. Leur lecture en dit long sur sa vision de la société à différentes époques, de la Restauration au Second Empire, et dresse en creux son portrait moral.




Le savant encyclopédique
Certes, le docteur Lortet exerça la médecine, spécialement en direction des pauvres, et il est administrateur des Hospices. Mais ses activités sont loin de se limiter à la médecine. Il fut avant tout un scientifique dont "les connaissances étaient extraordinairement étendues et variées, non seulement en sciences naturelles mais encore en linguistique et en philosophie " (Magnin). On peut ajouter en géologie, géographie, hydrographie, agriculture, botanique... On trouvera en cliquant ici, à titre d'exemples de cet esprit encyclopédique, le sommaire de quelques communications qu'il fit dans les sociétés savantes dont il était membre.

Déménagements et réemménagement
Pourtant, le climat politique délétère de Lyon, marqué par la répression des canuts et des mouvements républicains, lui avait fait envisager, au lendemain de la mort de sa mère, de s'installer en Allemagne. Cependant, la naissance de son fils Louis à Oullins, le 22 août 1836 (qui sera suivie, l'année suivante, du décès de sa femme, le 7 juin 1837), lui fait changer d'idée. Il vend la Pilata le 9 mai 1837 à des prêtres et frères appartenant à un groupement religieux qui avait fait acte de naissance officiel le 24 septembre 1836 sous le nom de Société de Marie. (Le supérieur de ces maristes s'y installera en 1839).

Une cour intérieure de la maison familiale de la Pilata 
dessinée par Pierre en 1821 et ce qu'il en reste aujourd'hui
 (photo et surlignages de Mme Françoise Chambaud)



La mort de Nettchen, dont il suit la lente agonie un mois durant, fut une terrible tragédie, autant pour Pierre, qui la pleure littéralement plusieurs mois durant en écrivant de longues pages élégiaques (en français et en allemand), que pour ses tout jeunes enfants, dont il transcrit les nombreux rêves d'une mère toujours en vie.

Pierre tombale de Nettchen Lortet au cimetière d'Oullins, 
sur laquelle on peut lire :
Laß mich ruhen / Gib mir Freuden für die Zeit / Freuden für die Ewigkeit
= Laisse-moi reposer / donne-moi des joies pour le présent / 
des joies pour l'éternité.
• On ignore la raison de la présence du rouet sur la tombe.
On pourra peut-être la trouver dans ce lied de SchubertGretchen am Spinnrade



En 1839, il vend également la Cadière, le grand manoir d'Oullins hérité de sa mère et qui existe toujours (voir l'article "Clémence Lortet"). Mais c'est pour se faire construire sur ses terres, à quelque distance, une autre "Cadière", grande maison bourgeoise de style néo-renaissance, qui sera achevée en 1845. (Cette maison, sans doute vendue par la seconde épouse de Louis Lortet, Léontine Lortet, peu avant la guerre de 14-18, et achetée par André Navarre, père de Jean et Pierre, aviateurs héros de la guerre de 14-18, et fondateur des papèteries Navarre, sera malheureusement détruite en 1982, pour laisser place à un immeuble de la SCI Navarre).
On trouve ensuite, daté du 19 mai 1847, un acte d'achat au bénéfice des 3 enfants mineurs d'une parcelle de 7760 m2 sise à la Cadière, "cultivée en vigne, luzernière et hortolage", assortie d'une maison d'habitation de 2 niveaux et grenier. Ce sera “la Petite Cadière” (voir l'article Leberecht).


 "La Cadière 2" photographiée par Leberecht ou Louis Lortet vers 1880.
Ci-dessous, la façade sud (dessin du dossier de démolition)
et ici les autres façades.






 Une pièce du rez-de-chaussée (?)

Sans doute à la mort de son épouse et tandis que la nouvelle Cadière est en construction, il s'installe à la Croix-Rousse, au n°4 de la rue des Gloriettes (aujourd'hui rue Joséphin-Soulary) où se trouvait, au n°9, l'Institution protestante Hoffet où ses enfants seront en pension et y feront des amis pour la vie, comme par exemple, Alfred Westphal. (à noter que Jean-Georges Hoffet est membre de la Société linnéenne et vice-président de la Société protectrice des animaux fondée par le Dr Lortet – une double proximité pour ces deux hommes). On trouvera une description de la maison de la rue des Gloriettes par Louis Lortet, dans les extraits de son journal de fin de vie (dernier article sur la page qui lui est consacrée). 

À partir de ce moment, le destin du Dr Lortet est intimement lié à la ville de Lyon.


Les engagements civiques

• Il est membre de nombreuses sociétés savantes - la Société d'Agriculture, l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon (avec un discours de réception, en 1847, sur "les fleuves et leur influence"), la Société de Statistique universelle, ... - ainsi que de plusieurs autres en Allemagne.

• Il préside la commission hydrométrique de Lyon qu'il crée pour prévenir les inondations et devient météorologue accrédité de la ville.

• Il crée en 1853 la Société protectrice des animaux de Lyon, qu'il préside pendant 2 ans.
On trouvera ici deux discours devant les membres de la SPA. Le premier est celui de l'installation de la Société, dans les murs du palais Sint-Pierre, le 14 juin 1854. Le second est celui de l'assemblée générale, de 1855 (probablement). Il y développe une réflexion sur les rapports de l'homme et des animaux qui jette les bases d'une révolution éthique des comportements... qui n'est toujours pas accomplie de nos jours (voir, à la fin du discours, quelques pages du livre allemand “Fédor et Louise”, traduit par Leberecht et vendu par la Société).

• Il introduit la gymnastique dans l'enseignement scolaire. Influencé par les cours du Dr Jahn, professeur de philosophie et... de gymnastique, qu'il avait suivis à Heidelberg, il se donna plus tard pour tâche “d'introduire dans les écoles la pratique des exercices physiques. Il commence par l'école des Sourds-muets (...) puis dans les établissements privés et publics, et au bout de quelques années les écoles et les lycées de Lyon, les premiers en France, avaient adopté la gymnastique dans leur programme d'enseignement” (notice d'Alfred Westphal aux Lettres inédites d'Edgar Quinet au Dr Lortet). 
On trouvera ici des notes de lecture du Dr Lortet, d'un ouvrage du pédagogue allemand, Friedrich von Thiersch, sur le poète grec Pindare qui vante la culture physique antique, qu'il s'agit de faire revivre dans l'éducation moderne.
On peut ajouter au chapitre de l'éducation des réflexions critiques de Pierre Lortet sur l'instruction publique (il s'agit de trois articles publiés dans des journaux). On peut en extraire cette proposition politique saillante : "L'instruction primaire doit être fournie à tous par l'État et payée par lui. Dans cette œuvre importante, les communes, les départements pauvres ne doivent pas être réduits à leurs seules ressources.
La fréquentation des écoles primaires publiques doit être obligatoire pour tous, riches et pauvres sans exception et quelle que soit leur religion, car la religion ne sera pas enseignée dans l'école. Cette obligation sera imposée aux filles aussi bien qu'aux garçons."

• Il soutient auprès du maire Prunelle - et obtient - la création d'une Faculté des Sciences sur le modèle de celle de Zürich dont le fondateur est un ami personnel (Johann Caspar von Orelli, parrain de sa fille Clémentine, née à Zürich).

• Il aide Ampère dans ses premières recherches sur l'électro-magnétisme...

Par ailleurs, sa connaissance érudite de la langue allemande et ses idées progressistes confortées auprès d'amis proches tels qu'Edgar Quinet ** (avec qui il réfléchit à l'établissement d'une république laïque), Michelet (dont la seconde femme, Athénaïs fut très proche de ses enfants) et Victor Cousin, l'amènent à traduire des textes philosophiques de Kant ("La religion dans les limites de la raison", préfacé par Francisque Bouillier) et Fichte ("De l'idée d'une guerre légitime") en rapport avec les situations politiques du moment. Durant son séjour d'étude à Heidelberg, il avait par ailleurs traduit, en 1825, un texte de Frederic-Louis Jahn : Essai historique sur les mœurs, la littérature et la nationalité allemande.


** En 1907, Alfred Westphal a publié "Lettres inédites d'Edgar Quinet" - 29 lettres de Quinet à son ami le Dr Lortet. Parmi celles-ci, quatre lettres relatives au séjour de 1828 à Heidelberg où Quinet et Lortet étudièrent ensemble pendant trois ans (et épousèrent chacun une Allemande), et cinq lettres écrites pendant le séjour que Quinet fit en Grèce en tant que membre de la mission scientifique qui accompagnait l'expédition de Morée. Ces lettres s'échelonnent sur les 40 ans que dura leur amitié (et leur compagnonnage : tous les deux francs-maçons, tous les deux députés en 1848), c'est-à-dire jusqu'à la mort du Dr Lortet.


Il était "déiste, rationaliste et disciple de Rousseau" (Magnin). Certaines de ses nombreuses communications à l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon s'en ressentent : "l'Homme dans ses rapports avec la nature" ; "la Superstition dans les sciences" (3 mai 1853), "la Foi dans les sciences" (19 juillet 1853).
Sa pensée explore et dissèque toutes sortes de sujets. On lira par exemple (le texte est court), sa réflexion linguistique sur “L'unité de l'espèce et de la langue dans l'humanité” (1850), ou bien “Comparaison graphique et mathématique des continents de l'ancien monde” (10 décembre 1850).


Les engagements politiques

Le Dr Pierre Lortet est une figure politique républicaine. Jean-Noël Tardy, rédacteur d'une thèse sur les mouvements politiques clandestins du XIXe siècle, note qu'il s'est lié très tôt avec Buonarroti, conspirateur révolutionnaire à la vie mouvementée et animateur de sociétés secrètes.
Le fichier Bossu du Fonds maçonnique du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France nous apprend d'ailleurs que Pierre Lortet est poursuivi (et relâché ) en décembre 1822 pour avoir accueilli chez lui des réunions misraïmites.

Il a par ailleurs été président d'une association pour la liberté de la presse.

Jean-Noël Tardy écrit que "Pierre Lortet a sans nul doute appartenu à la Charbonnerie française sous la Restauration. Sous la Monarchie de Juillet, il semble être à l'origine de la résurrection du carbonarisme à Lyon, avec l'aide de réfugiés italiens et espagnols. Louis Blanc, bien informé sur ce point, mentionne son nom dans “l'Histoire de Dix ans“. La répression de l'insurrection de 1834 provoque sans doute son retrait de ces périlleuses activités. Il était de toutes façons de règle de détruire tout document compromettant et l'absence de papiers privés ne surprend pas".

Françoise Chambaud, qui a effectué des recherches sur lui, indique que "Pierre Lortet a participé de près ou de loin aux deux révoltes des canuts, écrivant des articles dans l' “L'Écho de la Fabrique” et “La Glaneuse”, qualifiée de “feuille patriote”, en présidant “l'Association pour la liberté de la Presse” (dont le secrétaire est Léon Boitel, éditeur de la Revue du Lyonnais), en faisant partie de la société des Carbonari... ".

Le fichier Bossu confirme que Pierre Lortet s'agrège au mouvement Jeune France de Giovine Europa fondée par Mazzini, que son nom de carbonaro est Lucullus, qu'il dirige la “charbonnerie réformée” et qu'il est également membre de la Charbonnerie démocratique universelle de Lyon en 1834, aux côtés, notamment, de François de Corcelles (dit Francisque de Corcelle) et du sculpteur Jean-Baptiste Vietty (auteur du portrait gravé de sa mère, Clémence Lortet).

On pourra également lire une description assez documentée de la trajectoire politique de Pierre Lortet dans la conférence donnée par le Pr Frédéric Charvet à l'Institut de l'histoire de la Médecine, à Lyon, en février 2000, et intitulée “La famille du doyen Louis Lortet”.

Pierre Lortet est donc franc-maçon comme l'était son père (qui réunissait à la Pilata la “Société philosophique des sciences et des arts utiles”).
Il est successivement membre de plusieurs loges - Candeur, St-Napoléon de la bonne amitié, Memphis, Union et Confiance, Parfait Silence** - qui multiplient les actions de secours, de bienfaisance et de soutien à l'éducation. 


Médaille de la loge du Parfait Silence ayant appartenu à Pierre Lortet.
Mentions au recto : L:.R:. DU PARFAIT SILENCE Ot:. DE LYON 
R:. ECOSS:. ET MOD:.
(C'est à dire : Loge respectable du Parfait Silence. Orient de Lyon. 
Rite écossais et moderne.)
Au verso : ARCTISSIMUM AMORIS VINCULUM
(C'est à dire: Le lien d'amour le plus proche)

Nous avons retrouvé des 
dont deux d'Oullins.

À chaque Révolution (1830, 1848), les sociétés maçonniques espèrent faire aboutir leurs idées de suffrage universel, de développement des libertés et de scolarisation du peuple. 
C'est ainsi qu'en 1848, Pierre Lortet, libéral et républicain, qui s'était manifesté les années précédentes par des articles dans les journaux d'opposition ("l'Indépendant de Lyon", "le Précurseur", ou "le Censeur") et dans les "banquets républicains" de 1847 (il s'agissait de contourner une loi de 1835 interdisant les réunions publiques), est élu "commandant supérieur des légions lyonnaises de la Garde nationale". 

Il est également élu député du Rhône à l'Assemblée nationale (23 avril 1848) en même temps que son ami Edgar Quinet, député de l'Ain.
––––
** Émile Babeuf - fils du révolutionnaire Gracchus Babeuf guillotiné en 1797 -, quitta Paris suite à des ennuis politiques et vint se réfugier à Lyon. Il fut reçu... à la loge du Parfait Silence le 26 mars 1809. Il rencontra et épousa ensuite une libraire lyonnaise - Catherine Finet -, obtint une licence de libraire et alla ouvrir sa “librairie historique d'Émile Babeuf” à Paris. C'est à Émile Babeuf que Pierre Lortet fit par la suite  appel pour éditer certains de ses écrits.
––––

Sa candidature avait été fortement soutenue par "plusieurs électeurs du 4e arrondissement" contre celle du député sortant Verne de Bachelard. Dans le tract rédigé par ces citoyens républicains, il était dit que :

" Soutenir Monsieur Verne de Bachelard, intrépide soutien du Ministère, c'est s'associer à ceux qui, par des concessions humiliantes, ne rougissent pas de compromettre l'honneur national et l'intégrité du territoire ; c'est demander un commencement de gouvernement absolu, les lois d'apanage, les dotations princières, la création d'une nouvelle aristocratie. - Le repousser, c'est demander la dignité de la France en face de l'étranger, l'économie dans les finances et le maintien de la liberté selon la charte.
En conséquence, nous vous proposons de remplacer Monsieur Verne de Chatelard, à qui sa santé ne permet de prendre part aux travaux de la Chambre que pour servir le Ministère par un vote complaisant, par Monsieur Lortet, médecin et propriétaire à Oullins.
Monsieur Lortet est un homme indépendant et fermement attaché aux principes de la liberté ; simple dans ses habitudes, pur dans ses moeurs. Celui-là, s'il était investi de la confiance des électeurs, ne voterait jamais que dans l'intérêt du pays et non dans un intérêt particulier. Celui-là ne promettrait pas des places, des bureaux de tabac à ceux qui n'y ont pas droit ; il ne demanderait pas la croix d'honneur pour ceux qui n'ont rien fait pour la patrie ; mais il demanderait la diminution du budget, le dégrèvement de l'impôt qui accable les contribuables. Celui-là serait fidèle à la cause du peuple. Et pourquoi l'abandonnerait-il ? par cupidité ? il est riche ; il a passé de longues années de sa vie à Lyon, soignant les pauvres avec zèle et désintéressement, portant chez les malheureux les remèdes qu'ils ne pouvaient acheter et devaient leur rendre la vie, la santé. Demandez aux habitants pauvres des quartiers de Saint-Paul et de Saint-Jean, à Lyon, tout le bien qu'il a fait. Si ceux-là étaient électeurs, Monsieur Lortet serait sans nul doute celui qu'ils chargeraient de défendre les intérêts politiques du peuple.
L'ambition lui fera-t-elle abandonner la cause qu'il a servie toute sa vie ? Mais il ne recherche ni dignités ni honneurs ; plein de simplicité, ses vêtements sont les nôtres. Il parcourt la campagne à pied. Éloigné des plaisirs bruyants, homme de science et de travail, il passe ses veilles à étudier encore les moyens d'être utile à l'humanité. Voilà l'homme que nous vous proposons de choisir pour mandataire ; voilà celui qui travaillerait pour le peuple, qui voterait pour la dignité, pour l'indépendance du pays. "

Une fois élu – et même, en fait, plébiscité –, il monte à Paris à pied, mais c'est pour démissionner peu après (6 juin 1848), au grand regret de son ami et collègue sur les bancs de l'Assemblée nationale Edgar Quinet**, avec le pressentiment que la République ne durera pas (lire l'histoire mouvementée mais fondamentale de la Seconde République, et en particulier le chapitre sur "l'impossible République sociale" pour comprendre pourquoi le Dr Lortet, républicain radical, a démissionné si vite).
––––
** Edgar Quinet lui écrit le 7 juin 1848 : "Vous l'avez voulu : votre lettre de démission a été remise au Président, et hier, 6 juin, il en a été fait mention dans l'Assemblée. Ainsi, à mon grand regret, tout est consommé. J'avais attendu quelques jours, espérant que vous vous raviseriez. Vous savez que je vous avais gardé une place à côté de moi ; il m'en coûte beaucoup de renoncer à vous voir à notre banc.”
––––

Mais la vraie raison pour laquelle il démissionne, au grand dam de son ami et collègue sur les bancs de gauche Edgar Quinet, c'est simplement qu'il ne souhaitait pas être élu. En effet,  un mois avant les élections, il avait fait paraître dans le journal L’Humanitaire” de Gabriel Charavay, un article dans lequel il s'explique et prévient : 

Citoyens,

Jusqu’aux élections, nous avons peu de temps devant nous. Chaque candidat présenté aux électeurs doit donc s’empresser de déclarer s’il peut ou veut accepter la candidature. Dans votre numéro du 9 mars, vous proposez le citoyen Lortet comme l’un des candidats adopté par quelques électeurs [voir le tract plus haut].

Au moment où nous entrons dans une ère nouvelle, où tout est à refaire ou à créer dans le gouvernement et les administrations, chaque citoyen doit, après un examen de conscience, déclarer franchement ce qu’il peut faire, et surtout ce qu’il sait faire.

Tel est, pour ce qui me concerne, le but de cette lettre.

Je suis incapable de remplir les fonctions de représentant. Si j’acceptais, je tromperais mes concitoyens.

je n’ai aucune notion de législation, ni d’administration ; mes études et mes goûts m’en ont toujours éloigné. Je n’ai jamais lu ni une loi, ni un article de code, ni même une discussion des lois présentées à nos Chambres. Une loi écrite me fait horreur et me fait fuir.

Vous voyez que je suis très mal préparé. Je n’ai ni pratique, ni étude. Et jusqu’au 9 avril, que puis-je étudier ? Je n’ai ni le temps, ni la volonté.

J’ajouterai encore pour motiver mon refus. Les quelques jours d’agitation que nous avons traversés m’ont appris que ma santé n’y résisterait pas. Deux fois déjà, j’ai été contraint de m’arrêter. Je suis persuadé qu’au bout de huit jours je serais obligé d’abandonner le poste de représentant.

Veuillez faire agréer mes remerciements à ceux de mes concitoyens qui ont bien voulu penser à moi, et recevoir les témoignages de mon respect. 

Lyon, le 10 mars 1848.

Lortet


–––– 

Il revient à Lyon et fonde une loge tournée vers la politique : "les Amis des Hommes". Mais "le 15 juin 1849, des soldats s'introduisirent dans le Temple des Amis des Hommes et enlevèrent les épées, les bijoux, le livre d'architecture, etc. ; ils ont sans doute cru voir dans ces objets des indices d'une société secrète. (Revue maçonnique 1849, page 116)

Bientôt désabusé, le Dr Lortet se met peu à peu en retrait de la vie politique.
"Pierre Lortet se retira dans sa propriété de la Cadière, où le maréchal de Castellane eut le bon goût de respecter son repos (il était fiché et surveillé par la police) et il se consacra entièrement à la littérature, à la science, aux œuvres philosophiques." (Magnin)

Cependant, il se remet une dernière fois en action pour une cause qui lui est chère depuis toujours : le philhellénisme. Plus précisément, il participe à la mise en place des “comités crétois”. En effet, la Crète avait été écartée du traité de Constantinople de février 1832 garantissant l'indépendance de la Grèce, et les Crétois continuèrent de se révolter contre l'occupation ottomane en espérant obtenir le soutien des grandes puissances européennes et leur rattachement à la Grèce. Pierre Lortet commença à activer ses réseaux en 1866, en lien avec les comités de Genève, Marseille et Paris. Il s'éteignit bien avant que le rattachement de la Crète à la Grèce fût effectif (1913). 
Louis Lortet conserva et transmit l'épais dossier, intitulé “comité crétois”, contenant des lettres, articles et notes de son père.



Les funérailles furent troublées par l'opposition du curé Joly d'Oullins, ce qui provoqua l'ire de François Barthélémy Arlès-Dufour, ami de la famille (dont la tombe est sise dans le “carré protestant” du cimetière d'Oullins, juste à côté de celles de Pierre Lortet et des siens), qui s'adresse au prêtre en ces termes : "Les actes d'intolérance religieuse qui se succèdent et se multiplient dans la commune d'Oullins depuis que vous en dirigez la cure, et surtout le dernier relatif aux funérailles du digne docteur Lortet, l'un de nos citoyens les plus dévoués aux pauvres, me décident à retirer ma souscription pour la construction d'une nouvelle église catholique. Puisque vous traitez comme des malfaiteurs et des ennemis les protestants et les libres penseurs et que vous les excluez de vos aumônes, vous trouverez juste que ces protestants et ces libres penseurs se retirent de vous et fassent eux-mêmes leur charité [...] aux pauvres sans s'enquérir, comme vous le faites, du culte auquel [ils] appartiennent et de leur manière de comprendre Dieu". 

"Chez lui l'intelligence était au niveau du coeur" dira de lui au lendemain de sa mort Joseph Fournet, professeur de géologie à la Faculté des Sciences et collègue de l'Académie de Lyon, dont on pourra lire ici son éloge publié dans le Courrier de Lyon.

On a pu trouver aussi dans un autre journal, le Courrier de Lyon, daté du 21 février 1881, sous la plume d'un certain "Ixe” (!), une bienveillante biographie, intitulée "à propos d'un buste". Ce buste est reproduit ci-dessous avec l'aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Lyon...

 

Buste de Pierre Lortet sculpté par Etienne Pagny 
Cliché Alain Basset / Musée des Beaux-Arts de Lyon
et biographie associée


p
Pierre tombale du Dr Pierre Lortet, 
mort le 22 mars 1868 
et de ses enfants 
au cimetière d'Oullins.
L'enclos des tombes est en concession perpétuelle,
acquise par Pierre Lortet lui-même.






Signature autographe du Dr Pierre Lortet