CLEMENCE LORTET






Portrait de Clémence Lortet 
"dessiné d'après nature par Jean-Baptiste Vietty
(sculpteur helléniste ami de son fils Pierre Lortet)
et gravé par Étienne Rey (également ami de son fils)


Sources principales : "Notice sur Madame Lortet, membre de la Société Linnéenne de Lyon", écrite par Georges Roffavier* en 1835
"Mme Lortet, botaniste", par Aimé Vingtrinier**, 1896.
On trouvera également un article sur Clémence Lortet dans Wikipedia, une page très documentée sur le site du Comité des travaux historiques et scientifiques, et une fiche biographique très documentée dans le Dictionnaire historiques des membres de la Société linnéenne de Lyon.

* botaniste lyonnais (1775 / 1866), membre de la Société linnéenne de Lyon, qu'il créa avec Clémence Lortet et quelques autres
** imprimeur lyonnais (1812-1903), écrivain et historien amateur

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Née le 16 septembre 1772 à Lyon et morte à Oullins le 15 avril 1835.
Ses parents : Pierre Richard, grenadier en garnison à Lille durant la Guerre de Sept ans *, puis maître soyeux spécialiste du chinage, né également à Lyon (mort en 1815), et Jeanne Gondret (morte en 1826).

* 1756 / 1763. La France de Louis XV et l'Autriche de Marie-Thérèse sont face à la Prusse de Frédéric II et à l'Angleterre de Georges II et William Pitt. Cette guerre, dite “Guerre de Sept ans”, se déroule non seulement en Europe, mais aussi en Amérique, en Inde et sur les mers. Elle est considérée comme la première guerre mondiale par certains historiens. La France y perd le Canada et l'Inde au traité de Paris.

Pierre Richard, arrivé en garnison à Lille en 1757, suit des cours de mathématiques, géométrie et mécanique par goût des sciences exactes Il y réussit si bien qu'il devient "le professeur d'un grand nombre d'officiers". Il quitte l'armée en 1767, s'installe à Lyon et est bientôt à la tête du plus important atelier de chinage de la soie de la ville. Il se marie en 1770. Le couple n'a qu'un enfant, Clémence.


Acte de naissance de Clémence Lortet
(à qui on donne le prénom de sa marraine, Clémence Richard, une tante de son père)

L'intelligence de Clémence s'avère exceptionnelle, mais elle est de constitution délicate. Aussi son père s'en occupe-t-il de près et devient presque son seul maître. Il lui enseigne tout ce qu'il connaît. Selon l'un de ses biographes, il en fait "une femme virile comme une Romaine, une érudite comme un membre de l'Institut". (Aimé Vingtrinier, "madame Lortet botaniste").

En 1789, Pierre Richard devient propriétaire à Oullins, d'un vaste domaine et d'une demeure de style florentin, "la Cadière". À sa mort, sa fille Clémence Lortet née Richard en fera la “campagne” de la famille. Mais lorsqu'elle mourra à son tour (dans cette maison) en 1835, son fils la vendra peu après, en 1839. Cette maison existe toujours et une partie est inscrite à l'inventaire des monuments historiques. La voici, sur une gravure du XIXe siècle, puis photographiée par Leberecht ou Louis Lortet vers 1880, et dans son état actuel :






En 1791, en pleine tourmente révolutionnaire, à 19 ans, Clémence épouse en effet Pierre Lortet (ou Jean-Pierre), un temps trésorier-payeur du Rhône, né à Lyon en 1756 et fils de Pierre Lortet, aubergiste décédé le 13 novembre 1788 (voir l'article "les Amants d'Irigny").
Ce mari est un homme de hautes valeurs morales et humanistes cultivées de père en fils dans les loges maçonniques lyonnaises. Il est épris de justice et ne se laisse pas marcher sur les pieds, comme on peut s'en rendre compte dès la première page de cet édifiant "Mémoire contre le citoyen Desgranges", daté du 19 germinal an III (8 avril 1795) dans lequel il se défend bec et ongles contre un notaire indélicat.

Elle met au monde l'année suivante un garçon, qu'elle prénomme également Pierre.

Le couple habite une fabuleuse maison de quatre étages, avec souterrains et galeries secrètes - "la Pilata" (dite aussi “Puylata”) - construite par des artistes italiens en 1640 et acquise par la famille Lortet le 11 janvier 1763 (maison sise au pied de Fourvière, 4 montée St-Barthélémy).
Cette maison abrite les loges maçonniques de l'Orient lyonnais dont sont membres les Lortet. Ainsi, la Loge Sincère Union avait-elle été installée à la Pilata le 21 avril 1782. En 1784, Cagliostro y fonde la Loge de la Sagesse triomphante, dont le rite fut poursuivi sous le nom de Misraïm. Ce sera ensuite le tour de la Loge Memphis, puis celui de la Loge Union et Confiance, le 14 février 1825.
Le fils de Clémence vendra cette "maison Pilata"  le 9 mai 1837 à une fondation Mariste qui construira une école sur la propriété tout en conservant une partie des murs. Les galeries et souterrains ont été récemment murés pour raison de sécurité.

Durant le siège de Lyon*, alors que son fils n'a que 16 mois, Clémence multiplie les actes de courage en secourant des blessés, en obtenant des grâces pour des prisonniers, en cachant, au péril de sa vie, des fugitifs dans les souterrains de la Pilata. Elle déploie ensuite le même dévouement au côté des Républicains pendant la période thermidorienne.

Mais dans le même temps, sa santé s'altére. Après plusieurs années d'auto-médication, elle consulte le botaniste Jean-Emmanuel Gilibert, fondateur du Jardin des Plantes de Lyon et maire de la ville durant quelques mois de tourmentes, en 1793. Celui-ci lui dit "vous n'avez pas besoin de médicaments ; il vous faut deux choses : exercer vos jambes et occuper votre tête. Vous avez un jardin, cultivez-y des plantes ; venez à mes leçons de botanique, là vous apprendrez à les connaître".

* le siège de Lyon dura du 9 août au 9 octobre 1793. Une armée issue de l'armée des Alpes, dirigée par Kellerman, tente de reprendre la ville insurgée contre la Convention nationale. Après la capitulation, la ville change de nom et devient "Ville-Affranchie", les murailles de la ville et les maisons des royalistes sont détruites, des tribunaux révolutionnaires font guillotiner ou fusiller près de deux mille personnes jugées contre-révolutionnaires. Lyon retrouve son nom l'année suivante, le 9 octobre 1794.



Le siège de Lyon

A partir de 1803, Clémence commence à consigner ses découvertes et retrouve du même coup la santé. Elle devient capable de parcourir une trentaine de kilomètres par jour pour herboriser à partir de la maison de son père, la Cadière, à Oullins. Elle emmène dans ses promenades son fils unique Pierre, né le 3 juin 1792.



Pour conserver le souvenir de ses pérégrinations, Clémence prend des notes, qui seront rassemblées en un recueil de "Promenades botaniques autour de Lyon”. Ce recueil, considéré comme perdu, et dont on ne connaissait que le sommaire et la 16e des 17 promenades par la citation qu'en avaient faite Antoine Magnin (dans “les Lortet, botanistes lyonnais”) et Georges Roffavier (dans sa “Notice sur Madame Lortet” – voir plus loin), a été retrouvé dans les archives familiales et a fait l'objet d'une transcription. On trouvera ici ou dans le surtitre le récit de ces promenades botaniques (illustrées avec toutes les plantes collectées).

Ces promenades ont aussi fait l'objet d'une publication savante dans le Bulletin de la Société Linnéenne de Lyon de septembre-octobre 2018 (par Pierre Lortet, Cédric Audibert, Blandine Bärtschi, Sarah Benharrech, Françoise Chambaud, Marc Philippe et Mélanie Thiébaut). 

Enfin, en 2020, un article en anglais incorporant les Promenades a été publié dans la revue en ligne Huntia (publication de Hunt Institute for Botanical Documentation Carnegie Mellon University) sous les plumes de Sarah Benharrech et Marc Philippe :


L'introduction de l'article indique que “ Clémence Lortet a rempli ses itinéraires de souvenirs personnels, d'expressions lyriques et d'appréciations esthétiques de divers paysages, dans lesquels elle imite les Rêveries d'un promeneur solitaire de Rousseau (1782). L'analyse vise à éclairer les différents éléments culturels, botaniques et littéraires dans la tentative de Clémence Lortet d'élaborer une écriture personnelle originale à partir d'un inventaire de la flore lyonnaise.”

• Le manuscrit original des Promenades a été donné par la famille à l'Herbier universitaire de Lyon (LY), où il est conservé.

On s'accorde à dire que c'est en très grande partie au travail de Clémence Lortet que l'on doit le "Calendrier de Flore" signé par Gilibert, qui, dans son introduction, ne tarit pas d'éloges sur elle  :

"… Pour former un Calendrier de Flore exact et vraiment utile, il faut 1° cueillir les espèces dans leur lieu natal ; 2° saisir, autant que possible, les premiers moments de l’épanouissement des corolles.
Pour l’obtenir, les herborisations doivent être très répétées. Linné ne pouvait, vu la multitude des devoirs qu’il avait à remplir, assez multiplier les excursions botaniques pour dresser sur les lieux propres à chaque espèce son Calendrier. Nous aurions été dans la même impossibilité par les mêmes causes, sans le zèle d’une Dame passionnée pour la botanique, Madame Lortet. 
Depuis cinq années, elle n’a presque pas laissé échapper une seule semaine sans herboriser deux ou trois fois, jusqu’à trois lieues autour de Lyon. Ses courses sur nos hautes montagnes éloignées de la ville de cinq à huit lieues ont été assez fréquentes pour offrir chaque année ce très grand nombre d’espèces lyonnaises. On peut même ajouter qu’elle seule, pendant cinq années, a fourni à nos leçons, trois fois par semaine, toutes les plantes indigènes que nous avons démontrées, et, ce qui est plus extraordinaire, comme la langue et les principes de Linné lui sont très familiers, en nous remettant pour chaque leçon les fruits de ses herborisations, le très grand nombre d’espèces se trouvait bien dénommé et déterminé, suivant la rigueur des méthodes.
Ayant concerté ensemble le plan de notre Calendrier de Flore, nous avons fait, chacun de notre côté, nos annotations sur le premier moment de la floraison pour chaque espèce : moi, autour de ma campagne (la Carrette) située sur le coteau oriental du Rhône, à une demi-lieue de la ville ; elle, autour de celle de son père (la Cadière), située sur la rive gauche de la rivière d’Oullins."

Réciproquement, Clémence voue à son maître admiration et affection. Elle sera très affectée par sa mort, le 2 septembre 1814. "Dies nefastissima !" écrira-t-elle. Et elle recopiera dévotement l'éloge historique de Jean-Emmanuel Gilibert que prononça Joseph Mollet à l'Académie de Lyon le 5 septembre 1816.


Buste de Jean-Emmanuel Gilibert, réalisé vers 1800
par le sculpteur grenoblois F-J Martin. 
Musée de la Révolution française, Vizille.


Curieuse de tout, Clémence Lortet suit, de 1806 à 1810, des cours d'astronomie, de physique et de chimie ainsi que de latin, et en transmet le contenu à son fils. Élargissant peu à peu son champ d'investigations botaniques, elle parcourt en 1810, avec son fils et l'abbé Gaspard Dejean, directeur du Jardin botanique de Lyon, les montagnes de Chartreuse, de Bourg-d'Oisans et du Mont-de-Lans.

Lors d'un voyage à Paris en 1811, où elle accompagne son fils qui va y entreprendre des études de médecine, elle prend contact avec les grands botanistes de l'époque : de Jussieu (né à Lyon), Thouin, de Bonpland (qui lui fit rencontrer l'impératrice Joséphine à la Malmaison). Puis elle reprend ses randonnées botaniques. En 1817, elle est sur le Grand Colombier, dans le Bugey, avec Roffavier. En 1820, elle est au Pilat avec Balbis, Aunier et Roffavier.

Il faut avoir à l'esprit qu'à cette époque, la botanique est au coeur des sciences, fondant toutes les recherches, motivant toutes les expéditions lointaines, cristallisant tous les débats, en particulier celui sur le classement du vivant, d'où émergera quelques années plus tard la fameuse théorie sur l'évolution des espèces de Charles Darwin ("De l'origine des espèces", 1859). On comprend alors mieux la passion qui anima Clémence, esprit formé à l'observation scientifique, et l'incroyable énergie physique qu'elle mettra dans ses excursions.

Une autre remarque : ni la Révolution et encore moins le code civil napoléonien n'avaient donné aux femmes la moindre égalité d'instruction avec les hommes. Et il faudra attendre 1861 pour que Julie-Victoire Daubié (soutenue par Arlès-Dufour, grand ami du fils de Clémence) obtienne, de très haute lutte, la possibilité de passer le bac, puis une licence de lettres. Comment, dans ces conditions, Clémence réussit-elle à s'immiscer dans le cercle des hommes de sciences de son époque, c'est un mystère. On trouve en effet cette remarque sur le site du CTHS (Comité des travaux historiques et scientifiques) : " Elle a enfreint l'interdit fait aux femmes de faire des sciences, mais elle n'a pu le lever ".

Or le 27 juin 1822, elle devient précisément membre associée et correspondante de la Société linnéenne * de Paris, puis prend l'initiative d'en créer une à Lyon avec son fils, Roffavier et quelques autres scientifiques, dont Jean-Baptiste Balbis, qui avait été nommé directeur du Jardin des Plantes en 1819 et qui est le premier président de la société linnéenne de Lyon.

Elle a 51 ans quand son mari meurt, l'année suivante, le 16 octobre 1823, d'une longue maladie.

Carl von Linné par Per Krafft
Carl von Linné

* Carl von Linné est un célèbre botaniste, zoologiste et médecin du roi suédois (1707 / 1778) qui eut une énorme influence sur le monde scientifique de son époque. Il est l'auteur d'une classification universelle des espèces, et surtout des plantes, dite binominale, qui est encore utilisée de nos jours. 
De nombreuses sociétés linnéennes existent encore actuellement, dont la Société Linnéenne de Lyon, d'utilité publique depuis 1937 et forte de mille membres, répartis en 6 sections : générale (qui regroupe biologie, archéologie, préhistoire et anthropologie), sciences de la terre, botanique, mycologie, entomologie, et jardins alpins.

Le siège de la Linnéenne est au 3ème étage du bâtiment municipal du 6e arrondissement (33 rue Bossuet). La société organise chaque année une grande exposition de sciences naturelles où la mycologique occupe une place importante.

À noter qu'en juin 2017 dans ce même 6e arrondissement, la bibliothèque municipale, contiguë au siège de la Société Linnéenne, a pris le nom de Clémence-Lortet (voir plus bas, en fin d'article).

Le jardin botanique d'Uppsala (Hortus Upsaliensis) à l'époque de Linné
Le jardin de Linné à Uppsala, autrefois et aujourd'hui

Linnée boréale, Linnaea borealis, fleur discrète de Laponie dont Linné avait fait son emblème

La linnée boreale (Linnaea borealis) dont Linné avait fait son emblème

Pour l'anecdote, il faut savoir que Linné a inventé le principe de la culture des perles dans une petite rivière d'Uppsala, la Fyris. Il vendit le brevet de cette découverte à un homme... qui n'en fit rien, mais les Japonais développeront la technique à partir de 1900, après l'avoir redécouverte dans ses ouvrages.
En 1735 et 1738, Linné visite la France où il rencontre Bernard de Jussieu et Claude Richard, jardinier du Roi et membre d'une impressionnante lignée de botanistes.

En 1826, Clémence part avec son ami Roffavier herboriser au Mont-Cenis. "un mois fut employé à faire ce voyage" et, quoique étant allée jusqu'à Suse, elle résiste au désir de Roffavier d'en profiter pour visiter Turin "j'aime mieux, disait-elle, passer quelques jours de plus autour des rochers et des glaciers que de me promener sur les pavés des rues et voir des maisons". 
Le butin de ce voyage fut un herbier de 226 pièces, conservées séparément par la Linnéenne, à côté de trois grands autres dont elle fait don à la Société.
On trouvera ici ou dans le surtitre le récit de ce séjour botanique (avec les illustrations des plantes collectées) qu'elle adresse à son amie botaniste Caroline Chirat. Ce récit est accompagné d'un autre, très court, écrit par Roffavier, qui effectue un court séjour botanique dans la vallée de Chamonix en août 1830. Ce séjour est précédé du voyage qu'il fait pour accompagner Clémence à Genève, où elle rencontre Seringue. Ce voyage est très important, comme le dit Magnin :
" Le service le plus considérable assurément que notre naturaliste ait rendu à la botanique a été la nomination de Seringe à la direction du Jardin des plantes de Lyon, nomination qui est entièrement son œuvre. "  (Antoine Magnin, “les Lortet, botanistes lyonnais”).

À noter que le récit du séjour botanique, assorti d'une présentation, de notes en pied de page et de références bibliographiques, a été publié dans le Bulletin de la Société linnéenne de Lyon de janvier 2001.

Un article intitulé “A woman botanist in Rousseau's footsteps: Clémence Lortet's Botanical Walks” a été publié par Sarah Benarrech et Marc Philippe, dans le volume 18, n°2, de la revue annuelle en ligne “Huntia” de l'éditeur spécialisé de botanique “Hunt Institute for Botanical Documentation”.

• Le manuscrit du séjour botanique de Clémence Lortet a été donné par la famille à l'Herbier universitaire de Lyon (LY), où il est conservé.


Portrait de Clémence par son fils Pierre. 
D'après la date, elle a alors 54 ans, et c'est l'année de son séjour au Mont-Cenis.

En 1827, elle se rend en Allemagne pour le mariage de son fils avec Johanette Müller, fille d'un bourgeois de Darmstadt. Elle en profite pour herboriser dans les environs de Darmstadt et de Heidelberg, ainsi que tout au long de son voyage de retour, qu'elle fera à pied avec son fils, sa belle-fille et Roffavier, à travers la Suisse et la vallée de Chamonix.

L'année suivante, pour se consoler du départ de son fils, elle fait un voyage en Auvergne et Limagne, toujours avec Roffavier. Ensemble, ils gravissent le Puy-de-Dôme et le Mont-d'Or. En été 1830, ils gravissent le Salève et sont dans les environs de Genève où Clémence tente de convaincre Nicolas-Charles Seringe, professeur de botanique de grande réputation, enseignant genevois, mais né en France, de prendre la suite de Balbis à la tête du Jardin des Plantes de Lyon, fondé par Gilibert en 1796 (initialement sur les pentes de la Croix-Rousse, avant d'être recréé et inclus dans le projet du parc de la Tête d'Or, en 1859).

Nicolas-Charles Seringe

Sa force de conviction et son entregent à la mairie de Lyon firent qu'elle parvint à ses fins après plusieurs jours de siège et deux lettres portées par Roffavier, tandis qu'elle est revenue à Lyon. Seringe restera directeur du Jardin des Plantes de 1830 à sa mort, en 1858, et son enseignement eut une grande importance pour la communauté botanique.



Borne / portrait de Clémence Lortet que l'on a pu voir
lors d'une exposition temporaire au parc de la Tête d'Or, à Lyon

D'après certaines notes, elle serait également allée en Normandie et en Provence.

Quelques années plus tard, en 1833, elle conduit sa belle-fille à Aix-les-Bains, où les médecins l'envoient "prendre les eaux". Bien sûr, Clémence herborise pendant ce temps-là. Elle en profite aussi pour visiter Chambéry et Annecy.

A partir de 1835, sa santé décline et elle se replie sur les sites proches qu'elle connaît si bien : le Pilat, le vallon d'Oullins. Elle s'éteint à la Cadière, le 15 avril, victime d'une tympanite aiguë foudroyante. En effet, le 5 avril elle était encore en forme. Elle écrivait à son amie Mme Dugommier (dont l'identité demeure à découvrir) : "Ma bonne amie, le beau temps m'a un peu ressuscitée. Je suis beaucoup mieux depuis que je suis à la campagne [la Cadière], où je peux sortir pour me promener au soleil bien chaud. Les forces reviennent bien doucement et chaque fois que je suis malade, je reste plus faible. C'est que je suis vieille ; il n'y a pas de remède à cela."

Signature autographe de Clémence Lortet


Roffavier, son ami et compagnon de vingt années d'herborisation dira d'elle que c'était "la meilleure des filles, des mères, des femmes, des amies" et qu'elle "unissait l'amabilité de la femme, aux connaissances, à la raison et au courage de l'homme" !
Deux mois après le décès de Clémence, Roffavier lut, en séance (15 juin 1835), devant les membres de la Société linnéenne cette 
“Notice sur Madame Lortet”. 
NB. Georges Roffavier légua en 1864 toutes ses collections, herbiers et bibliothèques à Louis Lortet. 


Quant aux herbiers de Clémence, certains se trouvent au siège de la Société Linnéenne, ceux qu'elle fournissaient au Dr Gilibert sont à l'Herbier universitaire, et enfin, près de 2500 parts sont conservées au Centre Louis Lortet du musée des Confluences. On pourra examiner chacune d'entre elles, assortie du lieu de collecte précisé par Clémence. En effet, toutes ont été scannées et répertoriées dans le GBIF (Global Biodiversity Information Facility, système mondial d'informations sur la biodiversité, alimenté par les musées et autres institutions – notamment par le Museum national d'Histoire naturelle).


Stèle de Clémence Lortet au cimetière d'Oullins


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L'historien Jules Michelet, grand ami de son fils Pierre et qui passa une soirée à la Pilata le 19 mars 1830, a fait le portrait de Clémence dans son ouvrage "La Femme" (1860, livre III, § 5).
Voici, en guise d'épilogue cette "Histoire de Madame Lortet" :

" Tout le monde connaît à Lyon mon bon et savant ami le docteur Lortet, le plus riche cœur de la terre pour l'énergie dans le bien. Sa mère, au fond, en est cause. Tel il est, tel elle le fit. Cette dame est restée en légende pour la science et la charité.

Le père de madame Lortet, Richard, ouvrier de Lyon, grenadier, et qui ne fut rien autre chose, s'avisa au régiment, d'apprendre les mathématiques, et bientôt en donna des leçons à ses officiers et à tous. Rentré à Lyon et marié, il donna à sa fille cette éducation. Elle commença justement, comme les bambins de Frœbel *, par une étude qui charme les enfants, la géométrie (l'arithmétique, au contraire, les fatigue extrêmement). Femme d'un industriel, vivant en plein monde ouvrier, dans les convulsions de Lyon, elle se hasarda pour tous, sauvant tantôt des royalistes et tantôt des jacobins, forçant intrépidement la porte des autorités et leur arrachant des grâces.

On sait l'épuisement terrible qui suivit ces agitations. Vers 1800, il semblait que le monde défaillît. Senancour ** écrivit son livre désespéré "de l'Amour", et Grainville *** "le Dernier Homme". Mme Lortet elle-même, quel que fût son grand courage, sur tant de ruines, faiblit. Une maladie nerveuse la prit. Le très habile Gilibert qu'elle consulta, lui dit : "Vous n'avez rien. Demain, avec votre enfant, vous irez, aux portes de Lyon, me cueillir telle et telle plante. Rien de plus". Elle ne pouvait pas marcher, le fit à grand peine. Le surlendemain, autres plantes, qu'il l'envoya cueillir à un quart de lieue. Chaque jour, il augmentait. Avant un an, la malade devenue botaniste, avec son garçon de douze ans, faisait ses huit lieues par jour.

Elle apprit le latin pour lire les botanistes et pour enseigner son fils. Pour lui encore, elle suivait des cours de chimie, d'astronomie et de physique. Elle le prépara aux études médicales, l'envoya étudier à Paris et en Allemagne. Elle en fut bien récompensée. D'un même cœur, le fils et la mère, à toutes les batailles de Lyon, pansèrent, cachèrent, sauvèrent des blessés de tous les partis. Elle fut en tout associée à la générosité aventureuse du jeune docteur. Si elle eût vécu avec lui dans un grand centre médical, elle aurait étendu de ce côté ses études, elle les aurait moins circonscrites à la botanique. Elle fut l'herboriste des pauvres. Elle en aurait été le médecin."

* contemporain de Clémence inventeur des jardins d'enfant
** autre contemporain, écrivain préromantique et mélancolique très influencé par Rousseau
*** ecclésiastique et écrivain au destin tragique, né au Havre en 1746 : il se suicida en se jetant dans la Somme en hiver 1805



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• Monsieur Christian Bange, membre de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, et ancien président de la Société Linnéenne, a publié dans la Revue n° 6 de la Société d’histoire de Lyon, dont il est membre, une biographie savante de Clémence Lortet – certainement la plus détaillée et complète à ce jour. 

On pourra lire ici cette biographie, intitulée :


(article reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur 
et de la Société d’histoire de Lyon)


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• Une biographie plus succincte a été publiée dans la Revue Hommes & Plantes (n° 121 / printemps 2022) du Conservatoire des Collections Végétales Spécialisées (CCVS), sous la plume de l'agronome Jean-Claude Collaert.

On pourra lire ici cette biographie, intitulée :
 


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Le nom de Clémence Lortet a été donné à la nouvelle bibliothèque du 6e arrondissement de Lyon, 33 rue Bossuet (avec le consentement de la famille, et selon la volonté de la mairie qui souhaitait la dédier à une femme de sciences). 
 La bibliothèque a ouvert le 6 juin 2017.
Après l'ouverture, madame Françoise Chambaud, conférencière, a présenté un exposé sur la vie de Clémence Lortet, dont le texte est consultable ici.
La décoration de la bibliothèque a été confiée sur concours à Laura Oliviéri, étudiante aux Beaux-Arts, qui a choisi des motifs faisant référence à son histoire : les montagnes qu'elle parcourait, les serres qui lui servaient de laboratoire.
La bibliothèque Clémence Lortet se trouve à côté du siège de la Société linnéenne qu'elle a cofondée.






2 commentaires:

Monique W a dit…

Bonjour Pierre, je reviens un peu en arrière pour t'envoyer quelques commentaires à propos de notre ancêtre commune;

Page 2 dans le 4è paragraphe, il est écrit qu'à la suite du siège de Lyon, Gilibert fut guillotiner ou fusiller. C'est à dire entre octobre 1793 et octobre 1794.

Or au paragraphe suivant, il est écritqu'en 1808 Clémence publie un "Calendrier de Flore" qui est parrainé par Gilibert.

Où est l'erreur ??

Page 3 à propos de jean-Baptiste Balbis un parc porte son nom à Versailles à côté du Potager du Roi. Lequel parc a été réhabilité en 2006 et 2007.

Page 4 Je connais pas mal de choses à propos de Linné, mais j'ignorais son invention de la culture de la perle.

Le Claude Richard, jardinier du roi, que rencontra Linné entre 1735 et 1738, était-il de la famille de Clémence ?

sais-tu si l'herbier de Clémence a été conservé et s'il se trouve à un endroit où l'on peut le voir ? Société Linnéenne de Lyon, jardin botanique de Lyon, ou les archives ...?

Page 5 au dernier paragraphe, qui se situe vers 1800, l'auteur parle du très habile Gilibet. Il ne peut dnc avoir été guillotiner vers 1793 ou 1794 (voir page 2)

J'ai lu ces deux texte à ta tante Inès, elle a été très contente et te remercie et te félicite de tes recherches. Elle attend la suite...

Monique W

Pierre Lortet a dit…

à Monique :
C'est très troublant cette contradiction que tu as relevée !
En effet, Wikipedia dit bien que "Parmi les victimes de cette commission (Parein), on compte quelques rares personnalités : l'ancien président du département Debost, l'ex constituant maconnais Merle, l'architecte Morand, le bourreau qui avait exécuté Chalier, le chanoine Roland (frère du ministre), l'ancien maire Gilibert,...". Mais le lien renvoie sur jean-Emmanuel Gilibert "homme politique et botaniste français qui fut maire de Lyon, né le 21 juin 1741 à Lyon et mort le 2 septembre 1814 dans cette même ville".
Et Magnin dit bien que Clémence fut "élève de Gilibert à partir de 1803...".
D'autre part, on trouve, en cherchant d'autres références sur Google, que Gilibert fut enfermé dans un cachot, puis libéré. Après le siège de Lyon, il tenta "de s'arracher la vie" puis s'enfuit et erra durant 18 mois. Le calme revenu, "on lui décerna la chaire d'histoire naturelle à l'école centrale". C'est donc bien du même personnage qu'il s'agit.

Pour les herbiers : les trois plus importants (plusieurs milliers de pièces) ont été données en effet à la société linnéenne de Lyon.

Jean-Baptiste Balbis est né à Moretta (Piémont) en 1765 et mort à Turin en 1831. Il a été directeur du jardin des plantes de Lyon de 1819 à 1830.

Pour Claude Richard et Clémence Richard, je me suis posé la même question (tout deux linnéens, même époque...). Mais, compte tenu de l'histoire du père de Clémence et du fait que Clémence n'est devenue botaniste que par le plus grand des hasards, je pense qu'il s'agit d'une homonymie ... qui m'avait enflammé et j'étais allé jusqu'à découvrir toute l'histoire - assez extraordinaire des Richard jardiniers du Roi.
http://crcv.revues.org/document53.html

Nul doute en tous cas, que Clémence connaissait Louis Claude Richard, ainsi d'ailleurs qu'Antoine-Laurent de Jussieu, né à Lyon, et directeur du Museum d'histoire naturelle de Paris à partir 1794. A cette époque la botanique était au coeur de la science et Clémence était dans le mouv' surtout lorsqu'elle a créé la société linnéenne !