Dr PIERRE LORTET









Le Dr Pierre Lortet en 1848 (53 ans)

dessiné et gravé par Etienne Rey
(Etienne Rey a également gravé le portrait de Clémence Lortet)

+++

Sources documentaires principales : 
• "Les Lortet, botanistes lyonnais" par Antoine Magnin, 1913
• "Pierre Lortet" par Christiane Legros, 1992, 
association "Pour l'histoire d'Oullins"
• Archives familiales

+++

Né le 3 juin 1792 à Lyon et mort à Oullins le 22 mars 1868.


Le contexte historique lorsque Pierre a...
- 1 an : Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen
- 10 ans : sacre de Napoléon
- 22 ans / 32 ans : règne de Louis XVIII
- 32 ans / mariage / 38 ans : règne de Charles X
- 38 ans / 58 ans : Révolution de Juillet 1830, règne de Louis-Philippe
- 56 ans / député du Rhône : Révolution de 1848 ; Seconde République
- 60 ans : Second Empire
- 76 ans : décès 2 ans avant le guerre de 70


Les études de médecine
Rappelons que Pierre est le fils unique de Clémence et Pierre Lortet (voir plus loin la biographie de Clémence), qu'il naît pendant la Terreur, que sa mère fut son professeur et répétiteur, qu'elle l'initia de bonne heure aux sciences naturelles, et qu'elle l'emmenait dès l'âge de 10 ans dans ses excursions botaniques. Il partit étudier la médecine à Paris en 1811 et fut reçu docteur le 22 septembre 1819 avec une thèse "sur les métastases en général". 




Le diplôme, qui porte notamment la signature de Georges Cuvier
président de la Commission d'Instruction publique


Les voyages à pied
Il profite de ses vacances durant ses études pour faire de grands et nombreux voyages à travers la France, puis en Suisse, prenant des notes que nous avons rassemblées sous le titre de :






Les nouvelles études à Heidelberg
Vers 1825 il part à Heidelberg pour étudier durant 3 ans la littérature et la philosophie allemande en compagnie d'Edgar Quinet qu'il avait rencontré à Lyon, en même temps que Quinet rencontra Jules Michelet. Pierre Lortet gardera ces deux amis pour la vie.


Il possédait parfaitement la langue allemande et traduisit de nombreux auteurs, comme Ch. Ritter. À l'inverse, il publia des textes en allemand, comme “das Ausland”, le Journal de minéralogie de Heidelberg (conférence du Pr Frédéric Charvet, conservateur du musée de l'Histoire de la Médecine de Lyon, sur “la famille du doyen Louis Lortet”, août 2000).


Le mariage
C'est au cours de ce séjour à Heidelberg qu'il épousa, à Darmstadt, le 18 mai 1827, Johanette Müller, dite Nettchen, née le 31 mai 1802 à Alsfeld (grand Duché de Hesse), dont le père était le bailli. 
Herr Müller était également président d'un comité philhellénique, tout comme Pierre était secrétaire du comité philhellénique de Lyon (de 1821 à 1826, en lien avec les comités de Suisse, d'Allemagne et de Grèce) et très engagé dans le soutien au peuple grec (surtout après les massacres de Chios d'avril 1822). Nul doute qu'ils se sont rencontrés à ces titres. Et c'est ainsi que Pierre en vint à tomber amoureux de la fille d'Herr Müller.

Nettchen avait 25 ans et Pierre 34Il s'était converti au protestantisme le 28 novembre 1826, et l'on pourrait penser, sans en être du tout certain, que ces deux événements sont liés. Dès lors, la religion protestante sera celle de sa famille et de toute sa descendance, qui fera partie intégrante de la société protestante de Lyon (mais aussi de Montpellier, Morges, Strasbourg...), déterminant des relations sociales, des amitiés, des mariages, des cousinages, des réseaux d'influence, des modes de vie et de pensée (lire à ce propos “L'évolution de la société protestante de Lyon”). 

On a pu faire une seconde hypothèse pour cette conversion, celle de la rencontre à une date que l'on ignore, du pasteur de Strasbourg, Jean-Frédéric Bruch. Cette hypothèse est évoquée dans les commentaires de la 
lettre qui s'est curieusement retrouvée dans une vente aux enchères à Bordeaux.
Nous l'avons accompagnée d'amusants dessins satiriques que les enfants Bruch adressaient aux enfants Lortet, montrant à quel point les deux familles étaient proches et complices.





Dessins de Pierre Lortet : Nettchen, autoportrait, les fiancés,
extraits d'un carnet très touchant relatant par des croquis au crayon, 
des dessins à la plume et des lavis à l'encre de Chine
son histoire d'amour ainsi que ses voyages à pied
 à travers l'Allemagne, la Suisse et les Alpes du Duché de Savoie.





Un autre album de grand format – 36 cm x 24 cm – 
rassemble une quarantaine de très beaux dessins de voyages,
réalisés pendant son séjour en Allemagne, mais pas seulement.



Sa rencontre amoureuse fit l'objet d'une légende qui perdura à Lyon jusqu'à la fin du siècle : afin d'approcher la jeune femme, il se serait fait embaucher comme jardinier par son père.
Ses compétences firent immédiatement merveille, jusqu'au jour où il dévoila ses intentions et son stratagème en demandant la main de la belle. Ce faisant il dévoila aussi ses diplômes et sa fortune, promit de rendre cette femme heureuse et de la ramener tous les ans à sa famille. Comment résister !


La légende n'est pas sans fondements,
puisque la déclaration eut bien lieu dans le jardin des Müller !
(carnet de voyages de Pierre)

La vérité était moins romantique, bien sûr : Pierre Lortet rencontra, en tant qu'érudit membre d'une société philhellénique lyonnaise (soutenant la guerre d'indépendance grecque), le père de Johanette, lui-même président du Comité philhellénique du Palatinat. Il fit sa demande en mariage dans les formes et simplement.

Il est à noter, chose méconnue, que ce sont Pierre Lortet et Edgar Quinet qui eurent ensemble l'idée, et obtinrent des autorités, d'adjoindre à l'Expédition de Morée, une équipe de scientifiques, sur le modèle de celle qui accompagna l'Expéditionde Bonaparte en Égypte. Quinet fit partie de cette équipe, ainsi que l'helléniste et sculpteur Jean-Baptiste Vietty (auteur du portrait de Clémence Lortet), que lui recommanda Pierre Lortet.

Gravure post mortem de Nettchen
(la ressemblance avec le dessin au crayon de Pierre est à noter !)

Il demeure que le retour en France du jeune couple, de quelques amis et de Clémence tient aussi du merveilleux. Voilà comment le décrit un admirateur quelque peu lyrique, 70 ans plus tard :
"Amour de la science et des Arts ! Passion de la nature ! Voyez-vous cette caravane joyeuse traversant la moitié de l'Europe à pied, escaladant le Grindewald, affrontant la Jungfrau, descendant la Gemmi et, couronnée de fleurs comme une théorie grecque, chantant "Hymen ! Hyménée !" en cueillant l'edelweiss dans les glaciers, le rhododendron au pied des neiges éternelles, ou les suaves fleurs de l'oranger dans les chauds ravins du Valais ? Heureux voyage ! comme les poètes en ont rêvé, comme les artistes n'en ont jamais fait ! Heureuse famille ! qui trouvait le bonheur en elle-même, dans l'amitié, la tendresse, la vie active, le grand air, la vue des lacs et des forêts, les pics hardis, les hautes prairies et tout ce que la nature a créé de beau, de bon et de grand ! (...) C'est sans doute à ce voyage, qui fit un certain bruit, qu'on doit cette autre légende, qui au fond n'est qu'une simple exagération "Quand M. et Mme Lortet vont en Allemagne ou qu'ils en reviennent, ai-je entendu conter mille fois, ils vont droit devant eux, à pied, à travers les plaines et les montagnes, les fleuves, les torrents, les ravins et les bois, surmontant, escaladant les obstacles, évitant les routes, fuyant les villes et ne s'arrêtant nulle part !". (Aimé Vingtrinier).

C'est ce même Vingtrinier qui nous en donne une description vivante :
"Ce fut au cours de zoologie de M. Jourdan [qui deviendra directeur du muséum de 1832 à 1869, avant Louis Lortet], peu après 1830, que j'eus l'honneur de voir M. Lortet. Tout frappe dans la jeunesse et tout reste gravé dans l'esprit, jusqu'aux moindres événements. 
La salle était pleine, la leçon était commencée et nous étions attentifs, quand l'illustre écrivain entra. 
Deux choses m'étonnèrent avec une égale intensité : le costume campagnard du nouvel arrivant ; chapeau commun aux vastes bords, cheveux flottants sur les épaules, veste et pantalon de gros drap, souliers de montagne, bâton ferré à la main ; en même temps les hommages que lui rendit le professeur, les honneurs et les applaudissements de la foule. Ce fut pour moi un indélébile souvenir."

+++

Les dessins de voyages
Les talents artistiques du jeune Pierre sont indéniables. Durant ses allées et venues en Allemagne, il produit un grand nombre de lavis monochromes rehaussés à la plume (voir l'album “Dessins de voyages”), exécutés face aux paysages, avec une prédilection pour les arbres et l'architecture. Il restitue les jeux d'ombre et de lumière avec force. Il a le souci du détail et une bonne vision de la perspective. Il est clair qu'il aura fortement influencé son fils Leberecht, qui le dépassera plus tard sur tous ces plans.

Les arbres, l'architecture, les jeux d'ombre et de lumière...


+++

Articles, notes et citations

Nous plaçons ici, parce qu'il est difficile de les situer chronologiquement dans sa vie, toutes sortes 
d'Articles, notes et citations que le Dr Lortet à écrites au fil des ans sur des coupures de papier plus ou moins classées. On trouve par ailleurs au milieu de ces notes des articles élaborés (tes ceux sur l'instruction publique, pages 50 et suivantes), voire des dossiers sur divers sujets. Le ton général est celui d'un opposant aux régimes monarchiques – de la Restauration à la Monarchie de Juillet –, d'un contempteur de l'esprit de Cour, d'un moraliste acerbe et d'un observateur impitoyable de la société de son époque. Leur lecture en dit long sur sa vision de la société à différentes époques, de la Restauration au Second Empire, et dresse en creux son portrait moral.




Le savant encyclopédique
Certes, le docteur Lortet exerça la médecine, spécialement en direction des pauvres, et il est administrateur des Hospices. Mais ses activités sont loin de se limiter à la médecine. Il fut avant tout un scientifique dont "les connaissances étaient extraordinairement étendues et variées, non seulement en sciences naturelles mais encore en linguistique et en philosophie " (Magnin). On peut ajouter en géologie, géographie, hydrographie, agriculture, botanique... On trouvera en cliquant ici, à titre d'exemples de cet esprit encyclopédique, le sommaire de quelques communications qu'il fit dans les sociétés savantes dont il était membre.

Déménagements et réemménagement
Pourtant, le climat politique délétère de Lyon, marqué par la répression des canuts et des mouvements républicains, lui avait fait envisager, au lendemain de la mort de sa mère, de s'installer en Allemagne. Cependant, la naissance de son fils Louis à Oullins, le 22 août 1836 (qui sera suivie, l'année suivante, du décès de sa femme, le 7 juin 1837), lui fait changer d'idée. Il vend la Pilata le 9 mai 1837 à des prêtres et frères appartenant à un groupement religieux qui avait fait acte de naissance officiel le 24 septembre 1836 sous le nom de Société de Marie. (Le supérieur de ces maristes s'y installera en 1839).

Une cour intérieure de la maison familiale de la Pilata 
dessinée par Pierre en 1821 et ce qu'il en reste aujourd'hui
 (photo et surlignages de Mme Françoise Chambaud)



La mort de Nettchen, dont il suit la lente agonie un mois durant, fut une terrible tragédie, autant pour Pierre, qui la pleure littéralement plusieurs mois durant en écrivant de longues pages élégiaques (en français et en allemand), que pour ses tout jeunes enfants, dont il transcrit les nombreux rêves d'une mère toujours en vie.

Pierre tombale de Nettchen Lortet au cimetière d'Oullins, 
sur laquelle on peut lire :
Laß mich ruhen / Gib mir Freuden für die Zeit / Freuden für die Ewigkeit
= Laisse-moi reposer / donne-moi des joies pour le présent / 
des joies pour l'éternité.
• On ignore la raison de la présence du rouet sur la tombe.
On pourra peut-être la trouver dans ce lied de SchubertGretchen am Spinnrade



En 1839, il vend également la Cadière, le grand manoir d'Oullins hérité de sa mère et qui existe toujours (voir l'article "Clémence Lortet"). Mais c'est pour se faire construire sur ses terres, à quelque distance, une autre "Cadière", grande maison bourgeoise de style néo-renaissance, qui sera achevée en 1845. (Cette maison, sans doute vendue par la seconde épouse de Louis Lortet, Léontine Lortet, peu avant la guerre de 14-18, et achetée par André Navarre, père de Jean et Pierre, aviateurs héros de la guerre de 14-18, et fondateur des papèteries Navarre, sera malheureusement détruite en 1982, pour laisser place à un immeuble de la SCI Navarre).
On trouve ensuite, daté du 19 mai 1847, un acte d'achat au bénéfice des 3 enfants mineurs d'une parcelle de 7760 m2 sise à la Cadière, "cultivée en vigne, luzernière et hortolage", assortie d'une maison d'habitation de 2 niveaux et grenier. Ce sera “la Petite Cadière” (voir l'article Leberecht).


 "La Cadière 2" photographiée par Leberecht ou Louis Lortet vers 1880.
Ci-dessous, la façade sud (dessin du dossier de démolition)
et ici les autres façades.






 Une pièce du rez-de-chaussée (?)

Sans doute à la mort de son épouse et tandis que la nouvelle Cadière est en construction, il s'installe à la Croix-Rousse, au n°4 de la rue des Gloriettes (aujourd'hui rue Joséphin-Soulary) où se trouvait, au n°9, l'Institution protestante Hoffet où ses enfants seront en pension et y feront des amis pour la vie, comme par exemple, Alfred Westphal. (à noter que Jean-Georges Hoffet est membre de la Société linnéenne et vice-président de la Société protectrice des animaux fondée par le Dr Lortet – une double proximité pour ces deux hommes). On trouvera une description de la maison de la rue des Gloriettes par Louis Lortet, dans les extraits de son journal de fin de vie (dernier article sur la page qui lui est consacrée). 

À partir de ce moment, le destin du Dr Lortet est intimement lié à la ville de Lyon.

Les engagements
• Il est membre de nombreuses sociétés savantes - la Société d'Agriculture, l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon (avec un discours de réception, en 1847, sur "les fleuves et leur influence"), la Société de Statistique universelle, ... - ainsi que de plusieurs autres en Allemagne.

• Il préside la commission hydrométrique de Lyon qu'il crée pour prévenir les inondations et devient météorologue accrédité de la ville.

• Il crée en 1853 la Société protectrice des animaux de Lyon, qu'il préside pendant 2 ans.
On trouvera ici deux discours devant les membres de la SPA. Le premier est celui de l'installation de la Société, dans les murs du palais Sint-Pierre, le 14 juin 1854. Le second est celui de l'assemblée générale, de 1855 (probablement). Il y développe une réflexion sur les rapports de l'homme et des animaux qui jette les bases d'une révolution éthique des comportements... qui n'est toujours pas accomplie de nos jours (voir, à la fin du discours, quelques pages du livre allemand “Fédor et Louise”, traduit par Leberecht et vendu par la Société).

• Il introduit la gymnastique dans l'enseignement scolaire. Influencé par les cours du Dr Jahn, professeur de philosophie et... de gymnastique, qu'il avait suivis à Heidelberg, il se donna plus tard pour tâche “d'introduire dans les écoles la pratique des exercices physiques. Il commence par l'école des Sourds-muets (...) puis dans les établissements privés et publics, et au bout de quelques années les écoles et les lycées de Lyon, les premiers en France, avaient adopté la gymnastique dans leur programme d'enseignement” (notice d'Alfred Westphal aux Lettres inédites d'Edgar Quinet au Dr Lortet). 
On trouvera ici des notes de lecture du Dr Lortet, d'un ouvrage du pédagogue allemand, Friedrich von Thiersch, sur le poète grec Pindare qui vante la culture physique antique, qu'il s'agit de faire revivre dans l'éducation moderne.
On peut ajouter au chapitre de l'éducation des réflexions critiques de Pierre Lortet sur l'instruction publique (il s'agit de trois articles publiés dans des journaux). On peut en extraire cette proposition politique saillante : "L'instruction primaire doit être fournie à tous par l'État et payée par lui. Dans cette œuvre importante, les communes, les départements pauvres ne doivent pas être réduits à leurs seules ressources.
La fréquentation des écoles primaires publiques doit être obligatoire pour tous, riches et pauvres sans exception et quelle que soit leur religion, car la religion ne sera pas enseignée dans l'école. Cette obligation sera imposée aux filles aussi bien qu'aux garçons."

• Il soutient auprès du maire Prunelle - et obtient - la création d'une Faculté des Sciences sur le modèle de celle de Zürich dont le fondateur est un ami personnel (Johann Caspar von Orelli, parrain de sa fille Clémentine, née à Zürich).

• Il aide Ampère dans ses premières recherches sur l'électro-magnétisme...

Par ailleurs, sa connaissance érudite de la langue allemande et ses idées progressistes confortées auprès d'amis proches tels qu'Edgar Quinet ** (avec qui il réfléchit à l'établissement d'une république laïque), Michelet (dont la seconde femme, Athénaïs fut très proche de ses enfants) et Victor Cousin, l'amènent à traduire des textes philosophiques de Kant ("La religion dans les limites de la raison", préfacé par Francisque Bouillier) et Fichte ("De l'idée d'une guerre légitime") en rapport avec les situations politiques du moment. Durant son séjour d'étude à Heidelberg, il avait par ailleurs traduit, en 1825, un texte de Frederic-Louis Jahn : Essai historique sur les mœurs, la littérature et la nationalité allemande.


** En 1907, Alfred Westphal a publié "Lettres inédites d'Edgar Quinet" - 29 lettres de Quinet à son ami le Dr Lortet. Parmi celles-ci, quatre lettres relatives au séjour de 1828 à Heidelberg où Quinet et Lortet étudièrent ensemble pendant trois ans (et épousèrent chacun une Allemande), et cinq lettres écrites pendant le séjour que Quinet fit en Grèce en tant que membre de la mission scientifique qui accompagnait l'expédition de Morée. Ces lettres s'échelonnent sur les 40 ans que dura leur amitié (et leur compagnonnage : tous les deux francs-maçons, tous les deux députés en 1848), c'est-à-dire jusqu'à la mort du Dr Lortet.


Il était "déiste, rationaliste et disciple de Rousseau" (Magnin). Certaines de ses nombreuses communications à l'Académie des Sciences, Belles Lettres et Arts de Lyon s'en ressentent : "l'Homme dans ses rapports avec la nature" ; "la Superstition dans les sciences" (3 mai 1853), "la Foi dans les sciences" (19 juillet 1853).
Sa pensée explore et dissèque toutes sortes de sujets. On lira par exemple (le texte est court), sa réflexion linguistique sur "L'unité de l'espèce et de la langue dans l'humanité" (1850), ou bien “Comparaison graphique et mathématique des continents de l'ancien monde” (10 décembre 1850).

Le Dr Pierre Lortet est une figure politique républicaine. Jean-Noël Tardy, rédacteur d'une thèse sur les mouvements politiques clandestins du XIXe siècle, note qu'il s'est lié très tôt avec Buonarroti, conspirateur révolutionnaire à la vie mouvementée et animateur de sociétés secrètes.
Le fichier Bossu du Fonds maçonnique du département des manuscrits de la Bibliothèque nationale de France nous apprend d'ailleurs que Pierre Lortet est poursuivi (et relâché ) en décembre 1822 pour avoir accueilli chez lui des réunions misraïmites.

Il a par ailleurs été président d'une association pour la liberté de la presse.

Jean-Noël Tardy écrit que "Pierre Lortet a sans nul doute appartenu à la Charbonnerie française sous la Restauration. Sous la Monarchie de Juillet, il semble être à l'origine de la résurrection du carbonarisme à Lyon, avec l'aide de réfugiés italiens et espagnols. Louis Blanc, bien informé sur ce point, mentionne son nom dans “l'Histoire de Dix ans“. La répression de l'insurrection de 1834 provoque sans doute son retrait de ces périlleuses activités. Il était de toutes façons de règle de détruire tout document compromettant et l'absence de papiers privés ne surprend pas".

Françoise Chambaud, qui a effectué des recherches sur lui, indique que "Pierre Lortet a participé de près ou de loin aux deux révoltes des canuts, écrivant des articles dans l' “L'Écho de la Fabrique” et “La Glaneuse”, qualifiée de “feuille patriote”, en présidant “l'Association pour la liberté de la Presse” (dont le secrétaire est Léon Boitel), en faisant partie de la société des Carbonari... ".

Le fichier Bossu confirme que Pierre Lortet s'agrège au mouvement Jeune France de Giovine Europa fondée par Mazzini, que son nom de carbonaro est Luculus, qu'il dirige la “charbonnerie réformée” et qu'il est également membre de la Charbonnerie démocratique universelle de Lyon en 1834, aux côtés, notamment, de François de Corcelles (dit Francisque de Corcelle) et du sculpteur Jean-Baptiste Vietty (auteur du portrait gravé de sa mère, Clémence Lortet).

On pourra également lire une description assez documentée de la trajectoire politique de Pierre Lortet dans la conférence donnée par le Pr Frédéric Charvet à l'Institut de l'histoire de la Médecine, à Lyon, en février 2000, et intitulée “La famille du doyen Louis Lortet”.

Pierre Lortet est donc franc-maçon comme l'était son père (qui réunissait à la Pilata la “Société philosophique des sciences et des arts utiles”).
Il est successivement membre de plusieurs loges - Candeur, St-Napoléon de la bonne amitié, Memphis, Union et Confiance, Parfait Silence** - qui multiplient les actions de secours, de bienfaisance et de soutien à l'éducation. 


Médaille de la loge du Parfait Silence ayant appartenu à Pierre Lortet.
Mentions au recto : L:.R:. DU PARFAIT SILENCE Ot:. DE LYON 
R:. ECOSS:. ET MOD:.
(C'est à dire : Loge respectable du Parfait Silence. Orient de Lyon. 
Rite écossais et moderne.)
Au verso : ARCTISSIMUM AMORIS VINCULUM
(C'est à dire: Le lien d'amour le plus proche)

Nous avons retrouvé des 
dont deux d'Oullins.

À chaque Révolution (1830, 1848), les sociétés maçonniques espèrent faire aboutir leurs idées de suffrage universel, de développement des libertés et de scolarisation du peuple. 
C'est ainsi qu'en 1848, Pierre Lortet, libéral et républicain, qui s'était manifesté les années précédentes par des articles dans les journaux d'opposition ("l'Indépendant de Lyon", "le Précurseur", ou "le Censeur") et dans les "banquets républicains" de 1847 (il s'agissait de contourner une loi de 1835 interdisant les réunions publiques), est élu "commandant supérieur des légions lyonnaises de la Garde nationale". 

Il est également élu député du Rhône à l'Assemblée nationale (23 avril 1848) en même temps que son ami Edgar Quinet, député de l'Ain.
––––
** Émile Babeuf - fils du révolutionnaire Gracchus Babeuf guillotiné en 1797 -, quitta Paris suite à des ennuis politiques et vint se réfugier à Lyon. Il fut reçu... à la loge du Parfait Silence le 26 mars 1809. Il rencontra et épousa ensuite une libraire lyonnaise - Catherine Finet -, obtint une licence de libraire et alla ouvrir sa “librairie historique d'Émile Babeuf” à Paris. C'est à Émile Babeuf que Pierre Lortet fit par la suite  appel pour éditer certains de ses écrits.
––––

Sa candidature avait été fortement soutenue par "plusieurs électeurs du 4e arrondissement" contre celle du député sortant Verne de Bachelard. Dans le tract rédigé par ces citoyens républicains, il était dit que :

" Soutenir Monsieur Verne de Bachelard, intrépide soutien du Ministère, c'est s'associer à ceux qui, par des concessions humiliantes, ne rougissent pas de compromettre l'honneur national et l'intégrité du territoire ; c'est demander un commencement de gouvernement absolu, les lois d'apanage, les dotations princières, la création d'une nouvelle aristocratie. - Le repousser, c'est demander la dignité de la France en face de l'étranger, l'économie dans les finances et le maintien de la liberté selon la charte.
En conséquence, nous vous proposons de remplacer Monsieur Verne de Chatelard, à qui sa santé ne permet de prendre part aux travaux de la Chambre que pour servir le Ministère par un vote complaisant, par Monsieur Lortet, médecin et propriétaire à Oullins.
Monsieur Lortet est un homme indépendant et fermement attaché aux principes de la liberté ; simple dans ses habitudes, pur dans ses moeurs. Celui-là, s'il était investi de la confiance des électeurs, ne voterait jamais que dans l'intérêt du pays et non dans un intérêt particulier. Celui-là ne promettrait pas des places, des bureaux de tabac à ceux qui n'y ont pas droit ; il ne demanderait pas la croix d'honneur pour ceux qui n'ont rien fait pour la patrie ; mais il demanderait la diminution du budget, le dégrèvement de l'impôt qui accable les contribuables. Celui-là serait fidèle à la cause du peuple. Et pourquoi l'abandonnerait-il ? par cupidité ? il est riche ; il a passé de longues années de sa vie à Lyon, soignant les pauvres avec zèle et désintéressement, portant chez les malheureux les remèdes qu'ils ne pouvaient acheter et devaient leur rendre la vie, la santé. Demandez aux habitants pauvres des quartiers de Saint-Paul et de Saint-Jean, à Lyon, tout le bien qu'il a fait. Si ceux-là étaient électeurs, Monsieur Lortet serait sans nul doute celui qu'ils chargeraient de défendre les intérêts politiques du peuple.
L'ambition lui fera-t-elle abandonner la cause qu'il a servie toute sa vie ? Mais il ne recherche ni dignités ni honneurs ; plein de simplicité, ses vêtements sont les nôtres. Il parcourt la campagne à pied. Éloigné des plaisirs bruyants, homme de science et de travail, il passe ses veilles à étudier encore les moyens d'être utile à l'humanité. Voilà l'homme que nous vous proposons de choisir pour mandataire ; voilà celui qui travaillerait pour le peuple, qui voterait pour la dignité, pour l'indépendance du pays. "

Une fois élu – et même, en fait, plébiscité –, il monte à Paris à pied, mais c'est pour démissionner peu après (6 juin 1848), au grand regret de son ami et collègue sur les bancs de l'Assemblée nationale Edgar Quinet**, avec le pressentiment que la République ne durera pas (lire l'histoire mouvementée mais fondamentale de la Seconde République, et en particulier le chapitre sur "l'impossible République sociale" pour comprendre pourquoi le Dr Lortet, républicain radical, a démissionné si vite).
––––
** Edgar Quinet lui écrit le 7 juin 1848 : "Vous l'avez voulu : votre lettre de démission a été remise au Président, et hier, 6 juin, il en a été fait mention dans l'Assemblée. Ainsi, à mon grand regret, tout est consommé. J'avais attendu quelques jours, espérant que vous vous raviseriez. Vous savez que je vous avais gardé une place à côté de moi ; il m'en coûte beaucoup de renoncer à vous voir à notre banc.”
––––

Mais la vraie raison pour laquelle il démissionne, au grand dam de son ami et collègue sur les bancs de gauche Edgar Quinet, c'est simplement qu'il ne souhaitait pas être élu. En effet,  un mois avant les élections, il avait fait paraître dans le journal L’Humanitaire” de Gabriel Charavay, un article dans lequel il s'explique et prévient : 

Citoyens,

Jusqu’aux élections, nous avons peu de temps devant nous. Chaque candidat présenté aux électeurs doit donc s’empresser de déclarer s’il peut ou veut accepter la candidature. Dans votre numéro du 9 mars, vous proposez le citoyen Lortet comme l’un des candidats adopté par quelques électeurs [voir le tract plus haut].

Au moment où nous entrons dans une ère nouvelle, où tout est à refaire ou à créer dans le gouvernement et les administrations, chaque citoyen doit, après un examen de conscience, déclarer franchement ce qu’il peut faire, et surtout ce qu’il sait faire.

Tel est, pour ce qui me concerne, le but de cette lettre.

Je suis incapable de remplir les fonctions de représentant. Si j’acceptais, je tromperais mes concitoyens.

je n’ai aucune notion de législation, ni d’administration ; mes études et mes goûts m’en ont toujours éloigné. Je n’ai jamais lu ni une loi, ni un article de code, ni même une discussion des lois présentées à nos Chambres. Une loi écrite me fait horreur et me fait fuir.

Vous voyez que je suis très mal préparé. Je n’ai ni pratique, ni étude. Et jusqu’au 9 avril, que puis-je étudier ? Je n’ai ni le temps, ni la volonté.

J’ajouterai encore pour motiver mon refus. Les quelques jours d’agitation que nous avons traversés m’ont appris que ma santé n’y résisterait pas. Deux fois déjà, j’ai été contraint de m’arrêter. Je suis persuadé qu’au bout de huit jours je serais obligé d’abandonner le poste de représentant.

Veuillez faire agréer mes remerciements à ceux de mes concitoyens qui ont bien voulu penser à moi, et recevoir les témoignages de mon respect. 

Lyon, le 10 mars 1848.

Lortet


–––– 

Il revient à Lyon et fonde une loge tournée vers la politique : "les Amis des Hommes". Mais "le 15 juin 1849, des soldats s'introduisirent dans le Temple des Amis des Hommes et enlevèrent les épées, les bijoux, le livre d'architecture, etc. ; ils ont sans doute cru voir dans ces objets des indices d'une société secrète. (Revue maçonnique 1849, page 116)

Bientôt désabusé, le Dr Lortet se met peu à peu en retrait de la vie politique.
"Pierre Lortet se retira dans sa propriété de la Cadière, où le maréchal de Castellane eut le bon goût de respecter son repos (il était fiché et surveillé par la police) et il se consacra entièrement à la littérature, à la science, aux œuvres philosophiques." (Magnin)

Cependant, il se remet une dernière fois en action pour une cause qui lui est chère depuis toujours : le philhellénisme. Plus précisément, il participe à la mise en place des “comités crétois”. En effet, la Crète avait été écartée du traité de Constantinople de février 1832 garantissant l'indépendance de la Grèce, et les Crétois continuèrent de se révolter contre l'occupation ottomane en espérant obtenir le soutien des grandes puissances européennes et leur rattachement à la Grèce. Pierre Lortet commença à activer ses réseaux en 1866, en lien avec les comités de Genève, Marseille et Paris. Il s'éteignit bien avant que le rattachement de la Crète à la Grèce fût effectif (1913). 
Louis Lortet conserva et transmit l'épais dossier, intitulé “comité crétois”, contenant des lettres, articles et notes de son père.



Les funérailles furent troublées par l'opposition du curé Joly d'Oullins, ce qui provoqua l'ire de François Barthélémy Arlès-Dufour, ami de la famille (dont la tombe est sise dans le “carré protestant” du cimetière d'Oullins, juste à côté de celles de Pierre Lortet et des siens), qui s'adresse au prêtre en ces termes : "Les actes d'intolérance religieuse qui se succèdent et se multiplient dans la commune d'Oullins depuis que vous en dirigez la cure, et surtout le dernier relatif aux funérailles du digne docteur Lortet, l'un de nos citoyens les plus dévoués aux pauvres, me décident à retirer ma souscription pour la construction d'une nouvelle église catholique. Puisque vous traitez comme des malfaiteurs et des ennemis les protestants et les libres penseurs et que vous les excluez de vos aumônes, vous trouverez juste que ces protestants et ces libres penseurs se retirent de vous et fassent eux-mêmes leur charité [...] aux pauvres sans s'enquérir, comme vous le faites, du culte auquel [ils] appartiennent et de leur manière de comprendre Dieu". 

"Chez lui l'intelligence était au niveau du coeur" dira de lui au lendemain de sa mort Joseph Fournet, professeur de géologie à la Faculté des Sciences et collègue de l'Académie de Lyon, dont on pourra lire ici son éloge publié dans le Courrier de Lyon.

On a pu trouver aussi dans un autre journal, le Courrier de Lyon, daté du 21 février 1881, sous la plume d'un certain "Ixe” (!), une bienveillante biographie, intitulée "à propos d'un buste". Ce buste est reproduit ci-dessous avec l'aimable autorisation du Musée des Beaux-Arts de Lyon...

 

Buste de Pierre Lortet sculpté par Etienne Pagny 
Cliché Alain Basset / Musée des Beaux-Arts de Lyon
et biographie associée


p
Pierre tombale du Dr Pierre Lortet, 
mort le 22 mars 1868 
et de ses enfants 
au cimetière d'Oullins.
L'enclos des tombes est en concession perpétuelle,
acquise par Pierre Lortet lui-même.






Signature autographe du Dr Pierre Lortet


Aucun commentaire: